« La prévention des troubles de santé mentale périnataux doit passer par un soutien précoce et adapté aux parents et aux bébés. »
Actualité

« La prévention des troubles de santé mentale périnataux doit passer par un soutien précoce et adapté aux parents et aux bébés. »

Publié le 14 décembre 2023

Interview avec Julien Dubreucq, chef de service pédopsychiatrie au CHU de Saint-Etienne, coordinateur du projet de recherche participative LENA et membre de l’Alliance FondaMental.

Comment la grossesse peut-elle affecter notre santé mentale ?

Aujourd’hui, une femme sur 5 et un homme sur 10 présente des symptômes de dépression pendant la période périnatale (qui va bien au-delà des 9 mois de grossesse, jusqu’aux deux ans de l’enfant) : tristesse, fatigue, anxiété, doutes sur sa capacité à prendre soin de soi et de son enfant…

La grossesse est une expérience souvent épanouissante et attendue, mais elle est aussi profondément transformative. Au-delà de ses conséquences biologiques, elle a également un fort impact sur la vie des personnes en termes de rôles sociaux. Qu’il s’agisse de l’impact sur la carrière ou sur la répartition des tâches au sein de la famille, la grossesse est source de changements profonds dans les rapports sociaux. Cela peut affecter la santé mentale des deux parents. Pour faire face à cette transformation profonde, les jeunes parents doivent mobiliser des stratégies d’adaptation.

On parle souvent des troubles post-partum, mais 40% des troubles se manifestent dès la période anténatale. A cause des constructions sociales persistantes autour de la grossesse, les médecins ont encore trop tendance à se focaliser sur la période du postpartum. Pourtant, il faut aborder le sujet dès la période anténatale.  Il existe encore une très forte stigmatisation de la dépression autour de la grossesse, qui est perçue comme une faiblesse. A cause de cela, les parents en difficulté hésitent à demander de l’aide. Les mères, en particulier, ont peur d’être considérées comme de « mauvaises mères ». De même, il existe un tabou du côté des professionnels de santé, qui hésitent à aborder le sujet avec les mères qui ne présentent pas de facteurs de risques apparents. Il est important de traiter ces sujets comme n’importe quelle autre maladie, comme on aborderait par exemple le diabète gestationnel.

Quelle est la différence entre le « baby blues » et la dépression périnatale ?

Le baby blues diffère de la dépression périnatale par l’intensité et la durée des symptômes. Le baby blues est une phase transitoire, qui ne dure pas plus de deux semaines, durant laquelle la mère ressent une tristesse, une anxiété ou la crainte de ne pas savoir s’occuper correctement de son bébé. Cela concerne environ 70-80% des femmes. Si le baby blues n’est en soi pas pathologique, les travaux de Sarah Tebeka, psychiatre à l’hôpital Louis-Mourier de Colombes et chercheuse à la Fondation FondaMental, soulignent le fait qu’il ne faut ni minimiser ni banaliser ces symptômes car ils peuvent évoluer vers une dépression du postpartum. Lorsque ces symptômes durent plus de deux semaines, qu’ils s’aggravent ou qu’ils s’accompagnent de pensées suicidaires, cela doit être un signal d’alarme pour les soignants.

Que sait-on des causes ou des mécanismes qui sont à l’origine de la dépression du post partum ? 

Si les troubles dépressifs sont les plus connus, les problèmes de santé mentale périnataux sont hétérogènes : troubles anxieux, troubles de l’adaptation, stress post-traumatique, etc. Cela peut aussi concerner les personnes présentant un trouble préexistant : bipolarité, schizophrénie, troubles de personnalité. Cependant, une part importante de ces troubles n’est ni diagnostiquée, ni prise en charge.

Sans une prise en charge précoce et adaptée, cela peut avoir un impact significatif sur la santé mentale des parents. Reconnaître et accompagner ces difficultés, promouvoir une vision positive des soins en santé mentale, et encourager l’implication des sage-femmes ou des gynécologues-obstétriciens sont des impératifs. Trop souvent, l’offre de soin en période périnatale est centrée sur l’enfant, sans prendre en compte l’expérience parentale. Aujourd’hui, les mères en post-partum manifestent un fort besoin d’un soutien adapté, pour elles, pour leur partenaire et pour leur enfant.

Les études portant sur les facteurs de risque biologiques associés à la dépression périnatale mettent en lumière les conséquences potentielles d’une inflammation non traitée durant cette période. Cette inflammation peut influer sur le système immunitaire en devenir du fœtus, le risque de survenue de complications obstétricales et / ou néonatales (par ex, prématurité) et la qualité des interactions précoces parent-bébé, cruciales pour le développement cognitif, psychomoteur, émotionnel, social et langagier de l’enfant. Si elle reste non détectée et non traitée, la dépression périnatale peut accroître la probabilité de présenter un trouble neurodéveloppemental (autisme ou trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité) ou des problèmes de santé mentale pendant l’enfance ou l’adolescence, illustrant la nécessité d’un suivi précoce et adapté.

La dépression périnatale est souvent multifactorielle, avec des facteurs de risque biologiques et psychosociaux (par ex, complications obstétricales et / ou néonatales, événements de vie stressants en période périnatale, manque de soutien social, précarité socio-économique, antécédents de maltraitance pendant l’enfance). Le plus souvent, il s’agit d’une convergence complexe de ces différents éléments, mais il est important de rappeler que des femmes sans antécédent ou facteur de risque identifiés peuvent elles aussi développer ces pathologies.

Les inégalités de genre ont également un impact majeur sur la survenue d’une dépression périnatale : plus une société est égalitaire, moins les femmes sont touchées par cette maladie. Les écarts de revenus, l’accès plus difficile à l’emploi, voire l’impossibilité de travailler faute de mode de garde accessible, et enfin la pression supplémentaire d’avoir à élever seule son enfant pèse sur les mères. Sans un soutien adéquat, qui prenne en compte leurs besoins et non uniquement celui de leur enfant, les mères présentent un risque accru de développer une dépression périnatale.

Existe-t-il un risque plus important de développer des symptômes en période périnatale lorsque l’on a des antécédents de troubles psychiatriques ?

Lorsque des antécédents de troubles psychiatriques sont présents, il existe en effet une probabilité accrue de développer des problèmes de santé mentale périnataux, en particulier en postpartum. Les personnes ayant des antécédents de schizophrénie ou de trouble bipolaire ont un risque accru de présenter des complications psychiatriques, obstétricales et / ou néonatales, et ce d’autant qu’elles peuvent parfois cumuler différents facteurs de risque psychosociaux (stigmatisation, manque de soutien social, isolement). Cette population nécessite un suivi particulier afin d’anticiper les risques et de proposer des solutions adaptées.

La question des traitements est également cruciale, car il existe un surrisque de complications psychiatriques en post-natal. Il est essentiel d’évaluer ce risque, d’identifier les facteurs de risque et de soutien afin d’adapter le suivi médical et de mettre en place un soutien. Une intervention précoce, idéalement en péri-conceptionnel ou dès le début de la grossesse, représente le scénario optimal pour une prise en charge efficace.

Les pathologies psychiatriques périnatales touchent-elles seulement les mères ?

Les pathologies psychiatriques périnatales ne se limitent pas exclusivement aux mères, elles peuvent également affecter d’autres membres de la famille, comme le 2nd parent ou les autres enfants du couple. De même, il est crucial de considérer l’ensemble de la famille pour déployer des interventions adaptées et efficaces. Les proches, comme les grands-parents ou d’autres aidants, jouent un rôle de soutien très important dans le processus de rétablissement.

Pendant les 1000 premiers jours de l’enfant, la disponibilité des deux parents pour des interactions précoces est essentielle. En effet, la qualité de ces interactions impacte directement le risque de développer des troubles pendant l’enfance ou l’adolescence. En soutenant l’ensemble de la famille, il est possible de faciliter la communication intrafamiliale et d’encourager une implication accrue du deuxième parent, au-delà du traitement médical.

Bien que le congé paternité ait été légèrement allongé en France depuis le 1er juillet 2021, passant de 14 à 28 jours, il demeure nettement plus court que celui des femmes, qui dure au minimum 16 semaines. Des études, telles que la cohorte ELFE, ont démontré l’impact positif de l’allongement de la durée du congé paternité sur la santé mentale des pères. Toutefois, les 1000 premiers jours de l’enfant nécessitent une implication équitable des deux parents pendant cette période cruciale, justifiant la nécessité d’une durée de congé équivalente pour les deux parents.

Comment prévenir l’apparition de ces pathologies ?

Pour prévenir l’apparition de problèmes de santé mentale en période périnatale, il faut intervenir sur plusieurs facteurs de risques. Premièrement, les aspects sociétaux, en déployant des initiatives de soutien aux jeunes parents et des politiques plus inclusives en matière de travail, et en facilitant l’accès aux places en crèches. Les soins de santé périnatals doivent également s’orienter vers une prévention précoce, comprenant par exemple une activité physique adaptée et une alimentation équilibrée, ce qui contribue au bien-être maternel. Enfin, le renforcement du réseau de soutien social joue un rôle clé dans cette démarche.

Les personnes ayant un diagnostic préexistant de troubles psychiatriques nécessitent quant à elles des niveaux de prévention différents, impliquant des traitements spécifiques, des modalités de soutien adaptées et un suivi psychiatrique périnatal personnalisé. Les services de psychiatrie périnatale, désormais reconnus comme une spécialité à part entière, prennent en considération les enjeux affectant à la fois les deux parents et l’enfant. Ces services abordent les pathologies, les traitements pendant la grossesse et l’allaitement, ainsi que les changements émotionnels survenant pendant cette période. Ils reconnaissent également l’importance des interactions précoces et du développement de l’enfant pendant les 1000 premiers jours, nécessitant une double compétence dans leur approche.

L’offre de psychiatrie périnatale en France est en cours de renforcement par les pouvoirs publics (par exemple, via la création en 2022 d’une autorisation d’activité en psychiatrie périnatale pour les hôpitaux). Cela vise à proposer un soutien aux familles pendant la grossesse et les premières années de vie de l’enfant. Diverses structures sont mises en place pour répondre à ces besoins, proposant des soins conjoints parents-bébé en ambulatoire (équipes mobiles, Centres Médico-Psychologiques (CMP), Centres d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel (CATTP)), en hôpital de jour ou en unité parents-bébés (hospitalisation dédiée sur une période de 5-6 semaines jusqu’à la 1ère année postpartum)

Vers quels professionnels de santé se tourner, et quelles solutions peuvent-ils proposer ?

Il existe des recommandations internationales sur la prévention et de traitement des problèmes de santé mentale périnataux (par ex, celles publiées en octobre 2023 par le consortium européen RISE UP PPD). Des recommandations nationales par la Haute Autorité de Santé sont en cours d’élaboration depuis 2021.

En première ligne, les sage-femmes, les gynécologues, les médecins généralistes et les pédiatres sont des points de contact essentiels. Ils doivent être en mesure d’initier des discussions sur ces sujets avec tous les futurs parents, qu’ils aient des facteurs de risques identifiés ou non. Le dépistage systématique est fortement recommandé dans leurs pratiques pour détecter précocement les signes de ces troubles.

Les psychologues et les psychiatres spécialisés dans la périnatalité sont également des ressources importantes. Les services de psychiatrie périnatale offrent des traitements spécialisés et adaptés à cette phase de vie. Ils sont capables de fournir un soutien approprié aux femmes enceintes et aux jeunes parents confrontés à des problèmes de santé mentale périnataux en soutenant les interactions précoces parents-bébé.

Il est essentiel de souligner que plus les interventions sont précoces, dès les premiers stades de la grossesse, meilleur est le pronostic. La collaboration entre différents professionnels de la santé, ainsi qu’une approche pluridisciplinaire, sont également nécessaires afin d’offrir un soutien adéquat aux familles.

Quelles ressources d’auto-aide puis-je utiliser ?

Dans le cadre du projet européen “PATH: Pathways to improving perinatal mental health”, plusieurs contenus pédagogiques ont été mis à disposition du public, notamment une brochure d’information, un livret BD « Devenir papa » pour accompagner les pères, un MOOC « Santé mentale périnatale au cours des 1000 premiers jours » destiné aux professionnels du champ sanitaire, médico-social ou social, mais ouvert à tout public et un podcast « PATH » sur le bien être des (futurs) parents au travail.

Les jeunes parents peuvent également se tourner vers des associations comme Maman Blues, qui prodigue écoute, conseils et soutien aux parents en difficulté. Ces associations jouent un rôle déterminant pour faciliter l’accès au soin.

Enfin, dans le cadre d’une Question d’Intérêt Majeur soutenue par la Région Ile-de-France, la Fondation FondaMental développe actuellement des outils numériques pour la prévention et le traitement des problèmes de santé mentale périnataux (projet de recherche participative LENA). Cela comprend une plateforme internet sur la santé mentale périnatale à destination des jeunes parents, de leurs proches, des employeurs et des professionnels de périnatalité et de psychiatrie mais aussi une application mobile dédiée. Ces outils pourront permettre la constitution d’une cohorte parents-bébé pendant les 1000 premiers jours dans le cadre d’un projet de recherche. La concrétisation de ce vaste projet est prévue pour 2024.

Quel est le rôle des proches dans le parcours de soin ?

Les proches jouent un rôle capital dans le parcours de soin, qu’il s’agisse de la famille proche ou au sens large. La famille, la belle-famille, mais aussi l’entourage proche des jeunes parents peut détecter des signaux d’alertes et faciliter (ou bloquer) l’accès au soin. C’est pourquoi il est très important d’informer le public sur ces enjeux et de libérer la parole sur la question de la santé mentale périnatale.

Ces aidants ont eux aussi besoin d’être soutenus. Il existe des associations de familles, comme l’Unafam, qui proposent des échanges entre pairs et des rencontres avec des professionnels de santé. L’Unafam a par exemple créé un réseau de grands-parents aidants.

Quels médicaments peuvent être prescrits ? Peut-on les utiliser lorsqu’on allaite ?

En ce qui concerne les médicaments prescrits pour les problèmes de santé mentale périnataux et leur utilisation pendant l’allaitement, il est naturel de ressentir des inquiétudes, et il ne faut pas hésiter à poser toutes les questions nécessaires à son médecin généraliste, à son psychiatre, ou à un psychiatre spécialisé en psychiatrie périnatale. Aujourd’hui, les recommandations de première ligne mettent l’accent sur les psychothérapies (en particulier thérapies cognitives et comportementales ou thérapie interpersonnelle) plutôt que sur une prescription médicamenteuse systématique.

Cependant, il est crucial de comprendre que les traitements médicamenteux peuvent être bénéfiques dans certains cas. Cependant, la décision d’utiliser des médicaments doit toujours revenir à la patiente, après une exploration minutieuse des avantages et des inconvénients avec son médecin. Il est fortement recommandé d’avoir une consultation spécifique pour discuter des options disponibles et des implications pour la patiente. Surtout, il est déconseillé d’arrêter brusquement un traitement médicamenteux sans avis médical.

Les questions concernant la compatibilité des médicaments avec l’allaitement sont légitimes. Cependant, il est souvent constaté que les médecins généralistes et les psychiatres non spécialisés ne sont pas toujours suffisamment formés pour répondre de manière approfondie à ces préoccupations. Pour obtenir des informations spécifiques et actualisées sur la compatibilité des médicaments avec l’allaitement et la grossesse, des ressources telles que les recommandations fournies par le site web du CRAT (centre de référence pour les agents tératogènes) peuvent être consultées. Pour obtenir des informations actualisées sur les stratégies thérapeutiques recommandées pour la prévention et le traitement de la dépression périnatale, il est possible de consulter les recommandations  fournies par le site web du consortium de recherche européen RISE-UP PPD (en anglais, traduction prévue en 2024). Il est à noter que la quantité d’antidépresseurs passant dans le lait maternel est généralement très faible.

En fin de compte, le processus décisionnel doit se concentrer sur l’équilibre bénéfices/risques, en concertation avec la patiente et en tenant compte de ses besoins individuels et de ceux de son bébé.

Quelles politiques publiques appelez-vous de vos vœux ?

La dépression constitue l’une des complications les plus courantes de la grossesse. Plus alarmant encore, le suicide représente la principale cause de mortalité maternelle au cours de la première année après l’accouchement, dépassant même les maladies cardiovasculaires.

Pourtant, environ 91 % de ces décès sont considérés comme évitables, car liés à une absence de détection ou de traitement ou à un traitement qui serait non adéquat. Les données démontrent que près de 60 % des dépressions périnatales passent inaperçues, et 85 % des patientes ne bénéficiant d’aucune mesure thérapeutique, même lorsque des soins sont disponibles. Cette lacune dans la prise en charge de la santé mentale des mères représente un grave problème de santé publique ayant un impact profond sur la cellule familiale et sur société.

Les coûts associés aux maladies mentales périnatales sont également importants, que ce soit en termes de coûts directs ou de coûts indirects (liés par exemple à la perte de productivité). Au Royaume-Uni, une étude les évalue à 8 milliards de livres / an. Par exemple, une dépression chez une dyade mère-bébé représente une dépense de 72 000 livres.

L’Alliance pour la Santé Mentale Maternelle (MMHA : Maternal Mental Health Alliance), qui a mené cette étude, a su convaincre les autorités britanniques de la nécessité impérieuse d’améliorer la couverture en unités de psychiatrie périnatale. Des moyens considérables (un milliard de livres) ont ainsi été affectés à la réduction des inégalités de soins en santé mentale périnatale sur tous les territoires du Royaume-Uni, articulant plusieurs offres de soin allant des unités mère-bébé pour les femmes aux troubles les plus sévères à des services de santé mentale communautaires pour toutes celles qui en ont besoin.

En France, nous devons nous aussi mettre en place des politiques de santé publique ambitieuses afin d’améliorer le suivi des mères et des enfants pendant la période périnatale. En 2022, une avancée notable a été faite avec de nouvelles autorisations d’activité en psychiatrie périnatale. Des appels à projet ont également été lancés, pour un investissement total de 10 millions d’euros par an sur le territoire national entre 2017 et 2023.

Faites un don

Donnez aux chercheurs les moyens d’agir pour la recherche en psychiatrie, faites un don à la Fondation FondaMental

Je donne