Enjeux et objectifs de la psychiatrie de précision

Dans un article publié dans le numéro spécial de Médecine/Sciences de mai 2025, le Pr Marion Leboyer présente les enjeux de la psychiatrie de précision : "La psychiatrie de précision est une approche émergente, diagnostique, thérapeutique et préventive, qui prend en compte la variabilité génétique, environnementale et du mode de vie de chaque personne."

Le développement de médicaments en psychiatrie a pris beaucoup de retard par rapport aux autres spécialités médicales, avec très peu de nouveaux médicaments développés au cours des 50 dernières années. Cette situation perdure malgré les énormes progrès de la recherche dans la compréhension du cerveau normal ainsi que dans la compréhension des troubles psychiatriques majeurs, tels que les dépressions, les troubles bipolaires, les schizophrénies, ou les troubles du spectre de l’autisme. En conséquence, les médecins utilisent toujours les mêmes médicaments, souvent découverts par hasard, il y a des décennies, et dont la plupart ont une efficacité modérée et des effets secondaires non négligeables [1]. Ce retard peut être expliqué par toute une série de freins comme la persistance de la stigmatisation et la méconnaissance de l’ensemble du domaine de la psychiatrie par la société, ce qui a conduit à de faibles investissements publics comme privés par rapport à d’autres branches de la médecine, mais aussi à des obstacles réglementaires souvent inutiles et à l’absence de programme international coordonné pour progresser.

Les maladies mentales sont les principales causes d’invalidité dans le monde, touchant plus de 27 % de la population européenne chaque année. Leur impact économique dépasse 600 milliards d’euros par an.

La situation est alarmante en France comme à l’international : Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au moins une personne sur trois souffre d’un trouble mental [2], ce qui explique que la prévalence et le fardeau économique des troubles mentaux dépassent ceux des maladies cardiovasculaires, du cancer et du diabète. Les maladies mentales sont les principales causes d’invalidité dans le monde, touchant plus de 27 % de la population européenne chaque année. Leur impact économique dépasse 600 milliards d’euros par an. Plus de 80 millions de citoyens de l’Union européenne, soit jusqu’à 18 % de la population générale, souffriront d’une forme ou d’une autre d’un trouble mental au cours de leur vie1. Les troubles mentaux, qui commencent souvent tôt dans la vie, constituent actuellement cinq des dix principales causes d’invalidité dans le monde. En plus de la souffrance psychosociale qu’ils entraînent, les troubles psychiatriques majeurs réduisent l’espérance de vie de 15 à 20 ans, en grande partie en raison des comorbidités somatiques et du suicide.

Un des freins à l’innovation provient du fait que les stratégies diagnostiques utilisées en psychiatrie sont restées en grande partie inchangées pendant des décennies, reposant sur des évaluations subjectives des signes et des symptômes classés à l’aide des critères des manuels diagnostiques que sont le DSM-5 (diagnostic and statistical manual of mental disorders-5) ou la CIM-11 (Classification internationale des maladies-11). Ces approches produisent des entités diagnostiques catégorielles, chevauchantes, hétérogènes, dépourvues de biomarqueurs objectifs, ce qui conduit à des stratégies thérapeutiques ayant une spécificité limitée, mais surtout ne ciblant pas de mécanismes étio-pathogéniques précis [3].

La médecine de précision peut être utilisée pour caractériser et identifier de manière précise les personnes atteintes ou à risque de développer une maladie.

Pour dépasser cette situation, les espoirs reposent aujourd’hui sur les recherches en psychiatrie de précision. Cette stratégie suit l’exemple des révolutions en cours en médecine de précision en oncologie où les stratégies chimio-thérapeutiques sont maintenant choisies en fonction de la lignée génétique d’un cancer mais pas de sa localisation, ou encore dans le domaine de la maladie d’Alzheimer, où on assiste à une transition majeure d’une approche clinique basée sur l’identification du déficit cognitif et de ses conséquences fonctionnelles à un diagnostic reposant sur les biomarqueurs sanguins, reflets du processus physiopathologique en cours.

Le numéro thématique de médecine/sciences réalisé à l’occasion du lancement du programme français de recherche en psychiatrie de précision, sélectionné dans le cadre des projets de France 2030 (PEPR PROPSY2), a pour ambition de décrire les objectifs et les méthodes de la recherche en psychiatrie de précision qui vont être déployées en France.

La médecine de précision peut être utilisée pour caractériser et identifier de manière précise les personnes atteintes ou à risque de développer une maladie, pour prédire leur pronostic et faire un choix plus spécifique des stratégies de traitement. L’objectif de la médecine de précision est donc de proposer à un patient donné de recevoir une stratégie thérapeutique spécifique en fonction du sous-groupe auquel il appartient, sur la base d’une classification multidimensionnelle reposant sur la clinique, enrichie par des marqueurs objectifs, mesurables et quantifiables, qu’ils soient digitaux, sanguins ou issus des techniques d’imagerie cérébrale ou d’électrophysiologie [4].

Dans le numéro thématique, nous avons donné la parole aux professionnels de santé et aux chercheurs qui ont rassemblé les données de la littérature permettant de prioriser le choix de dimensions trans-nosographiques qui seront testées chez des patients atteints de troubles bipolaires, de dépressions récurrentes, de schizophrénies, de troubles du spectre de l’autisme, dans la cohorte French Minds du PEPR PROPSY sur la base d’arguments cliniques, biologiques, précliniques et thérapeutiques, conduisant à repenser la nosographie psychiatrique actuelle. Ces dimensions ont comme caractéristiques d’être présentes dans différentes pathologies, d’où la notion de dimension « transnosographique », d’être mesurables, d’être associées à des biomarqueurs, d’être sous-tendues par des mécanismes étiologiques spécifiques, de pouvoir être la cible de stratégies thérapeutiques, et d’être reconnues par les personnes comme source de handicap ou de difficulté de fonctionnement. Les dimensions choisies, qui seront présentées dans ce numéro thématique sont l’anhédonie, l’impulsivité et les conduites suicidaires, les anomalies sensorielles, les anomalies neurodéveloppementales, les symptômes négatifs et la flexibilité cognitive. Dans ce numéro exceptionnel, la description de ces dimensions sera suivie d’exemples des premiers succès de la psychiatrie de précision comme l’utilisation de l’imagerie cérébrale, de l’immuno-métabolisme, des troubles du sommeil, et de l’électrophysiologie, dans des stratégies thérapeutiques précises.

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article

1 https://health.ec.europa.eu/non-communicable-diseases/mental-health_en

2 https://pepr-propsy.fr/

Références

  1. Nutt DJ. Drug development in psychiatry: 50 years of failure and how to resuscitate it. Lancet Psychiatry 2025 ; 12 : 228–38. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Bassetti CLA, Endres M, Sander A, et al. The European academy of neurology brain health strategy: one brain, one life, one approach. Eur J Neurol 2022 ; 29 : 2559–66. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Miller AH, Raison CL. Burning down the house: reinventing drug discovery in psychiatry for the development of targeted therapies. Mol Psychiatry 2023 ; 28 : 68–75. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Scangos KW, State MW, Miller AH, et al. New and emerging approaches to treat psychiatric disorders. Nat Med 2023 ; 29 : 317–33. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

En savoir + sur la psychiatrie de précision 

Médecine/Sciences, numéro mai 2025 «Enjeux etobjectifs de la psychiatrie deprécision»

Precision psychiatry roadmap: towards a biology-informed framework for mental disorders

Should Inflammation Be a Specifier for Major Depression in the DSM-6?

Advancing precision psychiatry and targeted treatments: Insights from immunopsychiatry

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