Conduites suicidaires

→ 10/09/2025 : En cette journée internationale de prévention du suicide, la Fondation FondaMental rappelle des chiffres alarmants et fait le point sur l’avancée de la recherche.

Manifestation d’une souffrance psychologique intolérable, le suicide est la deuxième cause de mortalité des 15/24 ans et constitue un enjeu majeur de santé publique en France.
La recherche est indispensable pour identifier les facteurs de risques, permettre de mieux détecter les sujets à haut risque et prévenir les passages à l’acte.
Le suicide, une épidémiologie préoccupante
En France, un décès par suicide survient toutes les heures et une tentative de suicide toutes les 7 minutes. Ainsi, chaque année en France, ce sont près de 9 000 personnes qui décèdent par suicide et près de 80 000 qui tentent un geste suicidaire.
La situation française est particulièrement préoccupante : notre pays se situe au-dessus de la moyenne européenne et occupe le 7ème rang sur 27 pays. Plus alarmant, ces chiffres ne diminuent pas ou très lentement.
Lutter contre les idées reçues
Idées reçues et les préjugés accompagnent souvent la perception des conduites suicidaires par le grand public et les médias (acte d’autodétermination ou de libre arbitre, chantage vis-à-vis de l’entourage…) et font écran à une approche médicale et scientifique de ce problème de santé publique.
Les suicides ou tentatives de suicide sont la résultante d’une souffrance psychologique extrême, jugée insupportable par les personnes qui en sont victimes.
Connaître les mécanismes liés à la conduite ou l’acte suicidaire est essentiel à la mise en place de stratégies de prévention. Là encore, la recherche a un rôle majeur à jouer et a déjà apporté de premiers éléments de réponse encourageants.
La recherche a démontré que nous ne sommes pas tous égaux face au risque suicidaire : certaines personnes se révèlent plus vulnérables que d’autres.
Pr Philippe Courtet
Les principaux facteurs de risque
Certaines personnes se révèlent plus vulnérables que d’autres face au risque suicidaire.
Des travaux de recherche ont notamment démontré que près de 90% des personnes qui attentent à leur vie souffrent de troubles psychiatriques et que les antécédents de tentative de suicide sont associés à un risque accru de récidive.
Que sait-on aujourd’hui de la vulnérabilité au suicide ? Elle constitue une sorte de prédisposition ou de terrain « favorable » qui peut se traduire par un passage à l’acte sous l’effet d’un stress important (perte d’un emploi, problèmes familiaux ou conjugaux…). Elle serait liée à l’association de facteurs génétiques et de facteurs environnementaux. En effet, plusieurs gènes liés aux conduites suicidaires ont déjà été identifiés.
Les travaux de recherche ont également démontré l’implication de différents facteurs environnementaux, parmi lesquels les situations de maltraitance dans l’enfance, les altérations du sommeil, la présence d’un trouble du stress post-traumatique, etc.
Vers des marqueurs biologiques du suicide ?
Des travaux prometteurs ont permis d’identifier des premiers marqueurs biologiques du risque suicidaire. Ainsi, des voies biologiques spécifiques (système sérotoninergique et axe du cortisol) ont été impliquées, qui influent sur l’impulsivité et l’anxiété, deux caractéristiques psychologiques fortement présentes chez les personnes ayant fait une tentative de suicide.
D’autres études ont également montré l’existence d’une inflammation chronique chez les patients ayant effectué une tentative de suicide (diminution des taux d’interleukine dans le sang, niveau élevé de protéine C réactive).
La neuro-imagerie apporte de nouvelle piste
L’implication de régions cérébrales dans les anomalies émotionnelles et cognitives associées à la vulnérabilité suicidaire a été démontrée chez l’homme. Les études de neuro-imagerie, en particulier d’IRM fonctionnelle, ont ainsi permis de mettre en évidence, chez les sujets ayant fait une tentative de suicide, une hyperactivité du cortex orbito-frontal en visionnant des visages exprimant la colère. Ils sont donc hypersensibles aux signaux de rejet social et de désapprobation.
Pour aller plus loin
Suicide : état des lieux, Les explications du Pr Phillipe Courtet.
Suicide : comment éviter le drame ? Les explications du Pr Phillipe Courtet.
Quoi de neuf en 2025 ?
La prévention du suicide reste insatisfaisante, ce qui impose de multiplier les innovations scientifiques et médicales. Au sein du Département d’Urgence et Post Urgence Psychiatrique du CHU de Montpellier, une stratégie prioritaire consiste à cibler les patients les plus à risque, facilement identifiables : ceux admis aux Urgences pour une tentative de suicide (TS) ou des idées suicidaires (IS). Une unité d’hospitalisation de courte durée leur est dédiée depuis 40 ans, afin de reconnaître cette souffrance trop souvent négligée et de réaliser des évaluations cliniques, sociales et familiales complètes avant d’organiser un suivi adapté.
La littérature récente montre d’ailleurs qu’une hospitalisation dans les 24 h suivant une tentative de suicide réduit le risque de récidive (Ross et al. Estimated Average Treatment Effect of Psychiatric Hospitalization in Patients With Suicidal Behaviors: A Precision Treatment Analysis. JAMA Psychiatry. 2024)
Pour renforcer la continuité des soins, des dispositifs ambulatoires intensifs ont été mis en place pour les patients sortant directement des Urgences : ils offrent un suivi paramédical et social rapproché avec des consultations répétées, avant de transmettre le relais aux structures conventionnelles. Une expérimentation récente, conduite dans le Département dédié du CHU de Montpellier, et qui fera bientôt l’objet d’une publication, suggère que ce modèle réduit le risque de tentative dans les 6 mois.
En parallèle, une perfusion intraveineuse de kétamine est proposée avant la sortie des Urgences : l’étude observationnelle menée à l’hôpital montre que la baisse des idées suicidaires une semaine après la perfusion est associée à une diminution substantielle des tentatives de suicide à 3 mois (Pastre et al. Early Response to Ketamine for Suicidal Crisis Reduces Suicidal Events at 3 Months. J Clin Psychiatry. 2025).
À plus large échelle, la France a développé, pour les patients admis pour des tentatives de suicide, le programme de télésurveillance VigilanS, dont le Département du Chu de Montpellier a été pilote : ses résultats indiquent une réduction significative du risque de récidive à 6 mois (Gallien et al. Outcomes and Cost-Benefit of a National Suicide Reattempt Prevention Program. JAMA Netw Open. 2025).
Pour aller plus loin, l’équipe du Professeur Courtet a conçu, avec la Fondation FondaMental, l’application smartphone EMMA, qui vise à détecter, en temps réel, les crises suicidaires et à déclencher une intervention digitale immédiate (Quellec et al. Predicting suicidal ideation from irregular and incomplete time series of questionnaires in a smartphone-based suicide prevention platform: a pilot study. Sci Rep. 2024 Sep 6;14(1):20870.).
Après plusieurs études pilotes prometteuses, une étude multicentrique randomisée va démarrer chez les patients inclus dans VigilanS. Une nouvelle application nommée BAE, spécialement dédiée aux enfants et adolescents, sera prochainement disponible.
Sur le plan scientifique, nous développons actuellement une approche de psychiatrie de précision dans le cadre du Programme Français de psychiatrie de précision (PEPR PROPSY, France 2030). Elle vise à dépasser les seuls outils cliniques en intégrant des biomarqueurs (inflammation, neuro-imagerie, génétique), des dimensions psychologiques (anhédonie, douleur psychique) et des facteurs sociaux (Lengvenyte & Courtet. Vascular Homeostasis in Suicidal Behavior: From Molecular Mechanisms to Clinical Implications. Biol Psychiatry. 2025, Courtet & Saiz. Let’s Move Towards Precision Suicidology. Curr Psychiatry Rep. 2025).
L’objectif est d’aboutir à un diagnostic individualisé, permettant d’identifier les patients les plus à risque et de personnaliser les stratégies de prévention et de traitement.
Pour aller plus loin
Les jeunes particulièrement vulnérables :
Mieux comprendre
Mieux soigner
Prévention du suicide : vers une détection précoce grâce à l’IA | Point Recherche, Philippe Courtet