
Perfusion de kétamine : une piste prometteuse dans la prévention des gestes suicidaires
Emilie Olié, psychiatre, co-coordinatrice du réseau Centres Experts Troubles Bipolaires et Professeur à l’Université de Montpellier.
Les crises suicidaires – qu’il s’agisse d’idées suicidaires ou de tentatives de passage à l’acte – sont l’un des motifs les plus fréquents d’admission aux urgences. Elles constituent un facteur de risque majeur de décès et appellent une réponse médicale rapide. Dans ces moments critiques, pouvoir proposer une stratégie thérapeutique efficace et immédiate est essentiel pour apaiser la personne en détresse et prévenir le pire.
La kétamine : une réponse rapide face à l’urgence suicidaire
Traditionnellement utilisée en anesthésie, la kétamine attire aujourd’hui l’attention des cliniciens et des chercheurs pour sa capacité à agir très rapidement sur les idées suicidaires. En effet, de récentes études ont montré que l’administration par perfusion d’une faible dose de kétamine pouvait réduire de manière significative ces idées en quelques heures seulement. Cependant, jusqu’à présent, l’impact de ce traitement sur la prévention des passages à l’acte n’était pas clairement établi.
Pour éclairer cette question cruciale, nous avons mené une étude sur 100 patients admis aux urgences du CHU de Montpellier pour crise suicidaire. Chaque patient a reçu une ou deux perfusions de kétamine à faible dose dans le cadre d’un protocole spécifique. L’évaluation a été réalisée à deux temps clés : une semaine après la perfusion, pour mesurer l’efficacité de la kétamine sur la sévérité des idées suicidaires, puis trois mois plus tard pour vérifier la survenue de événements suicidaires (nouvelle hospitalisation pour idées suicidaires ou tentative de suicide).
Une nouvelle fenêtre thérapeutique pour stabiliser les patients
Les résultats ont été particulièrement remarquables. Plus de 6 patients sur 10 ont constaté une diminution de leurs idées suicidaires d’au moins 50 % dès la première semaine, en parallèle de l’effet antidépresseur de la kétamine. Mieux encore, les patients qui ont répondu favorablement au traitement (réduction des idées suicidaires ≥ 50 %) ont présenté un risque significativement plus faible de réadmission pour évènement suicidaire durant les trois mois qui ont suivi.
Ces observations suggèrent que la kétamine pourrait offrir une période de répit cruciale dans la prise en charge de la crise suicidaire. Cette « fenêtre thérapeutique » permettrait de soulager rapidement la détresse des patients, le temps que des traitements de fond et un suivi psychiatrique renforcé puissent être mis en place.
Bien que ces résultats soient encourageants, ils nécessitent d’être confirmés par des essais cliniques plus larges et contrôlés. Ils ouvrent néanmoins la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques susceptibles de transformer durablement la prise en charge des patients en situation de crise suicidaire.