Laeticia BLAMPAIN SEGAR, ingénieure de recherche hospitalier – économiste de la santé à l’Unité de Recherche clinique en économie de la santé (URC ECO), AP-HP
Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le suicide est la 14e cause de mortalité dans le monde avec plus d’un million de décès chaque année. D’ici 2030, l’OMS projette une augmentation de 50 % de l’incidence du suicide, en raison d’une combinaison de facteurs sociaux, économiques, psychologiques et environnementaux, ce qui en ferait la 12e cause de décès1. Chaque année, environ 700 000 personnes perdent la vie par suicide, soit un décès sur 100 à l’échelle mondiale. Parmi les jeunes de 15 à 29 ans, il constitue la 4e cause de mortalité, après les accidents de la route, la tuberculose et la violence interpersonnelle. En 2019, en France, le taux de mortalité par suicide était significativement plus élevé que la moyenne de l’Union européenne, atteignant 13,07 et 10,15 pour 100 000 habitants respectivement.
Avec la Fondation FondaMental et le soutien de Janssen Pharmaceuticals, nous avons mené une étude visant à évaluer l’impact économique des tentatives de suicide et des suicides en France pour l’année 2019, avant la pandémie de COVID-19. Plus qu’une simple étude de coûts, cette étude a pour but d’attirer l’attention des décideurs et d’identifier des domaines d’amélioration de l’offre de soin au service des patients. En quantifiant l’impact économique des suicides et des tentatives de suicide, cette étude fournit des données essentielles pour la prise de décision, l’allocation des ressources, et la mise en œuvre de politiques efficaces de prévention et de prise en charge.
La charge économique a été divisée en trois catégories : les coûts directs, qui incluent les dépenses liées à la prise en charge sanitaire (hospitalisation, visites aux urgences, transports et soins ambulatoires), ainsi que les autres dépenses publiques (autopsies, levées de corps, interventions de la police et actions des associations) et les frais funéraires ; les coûts indirects, qui comprennent la perte de productivité due aux décès prématurés et à l’invalidité ; et les coûts associés aux décès et à l’invalidité, qui permettent de quantifier les impacts non économiques du suicide et des tentatives de suicide. Ils prennent en compte les conséquences psychologiques et émotionnelles du décès ou d’une tentative de suicide d’une personne sur ses proches et sur la société. Mesurer cette peine immense peut paraître impossible, mais il existe en économie des outils qui permettent de valoriser ces « coûts intangibles », avec pour objectif de faire reconnaître la souffrance liée aux suicides et aux tentatives de suicide et leurs conséquences graves pour les individus concernés et la société dans son ensemble.
En prenant en compte ces différents coûts, cette étude permet de mieux comprendre l’impact global du suicide et des tentatives de suicide, et d’aider à orienter les décisions politiques et les investissements dans la prévention en prenant en compte la douleur émotionnelle et sociale causée par ces tragédies.
Pour assurer les comparaisons à l’échelle internationale, les coûts moyens ont été calculés sur l’ensemble de la population française. Les données ont été collectées sur une période d’un an, en utilisant des méthodologies variées, combinant des approches ascendantes et descendantes en fonction de la disponibilité des données et en complétant par des avis d’experts.
Cette étude est la première à évaluer le poids économique du suicide et des tentatives de suicide en France pour l’année 2019, avant la crise sanitaire de COVID-19.
Ces conclusions soulignent l’urgence de renforcer la prévention du suicide et des tentatives de suicide et de poursuivre les recherches pour réduire cette charge évitable. D’autres études sont nécessaires pour évaluer l’impact de la pandémie de COVID-19, dont les répercussions pourraient alourdir les coûts. Il est également nécessaire d’intensifier les mesures de prévention, augmenter les ressources allouées aux services de soutien, accroître les ressources disponibles, et développer des programmes ciblés pour identifier et aider les personnes à risque. Une approche proactive permettra d’alléger la charge économique mais surtout d’améliorer la qualité de vie de nombreuses personnes.
Auteurs de l’article : Laeticia Blampain Segar, Charles Laidi, Ophélia Godin, Philippe Courtet, Guillaume Vaiva, Marion Leboyer, Isabelle Durand-Zaleski.