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Étude génétique d’association des gènes circadiens et de la saisonnalité des troubles bipolaires

Publié le 29 juin 2015

Il s’agit d’un travail tout à fait original, réalisé par certains membres du réseau FondaMental, et qui vient d’être accepté pour publication dans l’un des journaux prestigieux du groupe Nature : Genetic association study of circadian genes with seasonal pattern in bipolar disorders.

Dr Pierre Alexis GEOFFROY, Mohamed LAJNEF, Pr Frank BELLIVIER, Dr Stéphane JAMAIN, Dr Sébastien GARD, Pr Jean-Pierre KAHN, Pr Chantal HENRY, Pr Marion LEBOYER, Dr Bruno ETAIN.

Scientific Reports. Sous presse.

Le trouble bipolaire (TB) est une maladie psychiatrique sévère et cyclique, faite de récurrences d’épisodes de l’humeur dits « maniaques » ou « dépressifs »(1), qui touche entre 1% et 4.4% de la population générale(2). La sévérité et le pronostic de cette maladie sont en partie liés à un taux élevé de récurrences des épisodes de l’humeur, avec 60 à 80% de rechutes en moyenne à 2 ans après un épisode thymique et ce malgré le traitement(3,4). Ces récurrences peuvent suivre une cyclicité saisonnière pour un nombre important de patients(5). Il existe de nombreuses études, allant de l’analyse des taux d’admissions hospitalières aux évaluations dimensionnelles individuelles, qui indiquent qu’à la fois les épisodes du TB mais aussi ses symptômes subissent ces effets saisonniers(5). L’existence de pics saisonniers d’admissions pour épisode maniaque ou dépressif du TB sont des observations internationales et très répliquées. Les pics d’épisodes maniaques apparaissent au cours du printemps/été et dans une moindre mesure en automne, alors que les pics d’épisodes dépressifs apparaissent en hiver et dans une moindre mesure en été(5). Il apparaît que les conditions climatiques peuvent influencer et/ou déclencher les symptômes et épisodes thymiques(5).

Une première étude de ces auteurs observait qu’environ 25% des sujets avec TB souffraient d’épisodes dépressifs de récurrence saisonnière(6). Cette étude démontrait également que cette caractéristique saisonnière s’associait à un profil clinique de la maladie plus sévère avec davantage de rechutes dépressives, plus souvent un trouble bipolaire de type II, davantage de cycles rapides et plus de troubles des conduites alimentaires(6).

Dans  la continuité de cette étude, les auteurs ont souhaité rechercher la présence d’une vulnérabilité génétique associée à cette caractéristique saisonnière. L’influence génétique de cette caractéristique saisonnière était également suggérée par plusieurs études précédentes. Madden et collaborateurs ont par exemple observé, à l’aide d’une étude de 4639 jumeaux, que 30% de la variance des effets saisonniers sur l’humeur et les comportements était sous-tendu par une influence génétique(7). Et cette influence génétique apparaissait significative sur l’humeur et l’ensemble des modifications comportementales  : humeur, énergie, activité sociale, sommeil, appétit, et poids(7). Ces résultats ont été répliqués par une étude de jumeaux canadiens retrouvant que 69% de la variance totale des effets saisonniers étaient sous-tendue par une influence génétique chez les Hommes et 45% chez les femmes(8). Enfin, plus récemment, Brambilla et collaborateurs ont observé que les patients aux antécédents familiaux de troubles de l’humeur présentaient des variations saisonnières plus sévères au SPAQ(9).

C’est dans ce contexte que les auteurs ont choisis d’étudier l’association de 349 polymorphismes nucléotidiques simples (SNPs) recouvrant 24 gènes circadiens (intervenant dans les processus centraux de l’horloge biologique interne) avec le caractère saisonnier tel que défini dans le DSM-IV(10). Deux stratégie d’exploitation des résultats a été utilisée : une analyse génétique d’association simple pour chaque polymorphisme indépendamment de leur localisation génomique (Single-marker analysis) et une étude d’association basé sur les gènes (Gene-based analysis). Les résultats indiquent qu’il existe des associations nominales en « Single-marker analysis » pour 14 SNPs identifiés dans 6 gènes circadiens: NPAS2, CRY2, ARNTL, ARNTL2, RORA et RORB ; et que 5 SNPs sur NPAS2 sont retenus après correction pour tests multiples. L’analyse fondée sur les gènes (Gene-based analysis) retrouve que les gènes NPAS2 et CRY2 sont associés à cette caractéristique saisonnière, ne retenant que NPAS2 après correction de Bonferroni pour tests multiples. Enfin, l’analyse d’épistasie entre les gènes NPAS2 et CRY2 observait un effet additif de ces deux gènes sur l’expression de la caractéristique saisonnière dans le TB.

Ces résultats indiquent avec force que le gène NPAS2 est associé à la vulnérabilité saisonnière des épisodes dépressifs dans le TB. De plus, il est intéressant de noter que le gène NPAS2 a déjà également été associée à la vulnérabilité du TB et de la dépression unipolaire ; mais également de manière remarquable à la dépression saisonnière, ainsi que dans d’autres pathologies impliquant les rythmes circadiens telles que le cancer de la prostate, le cancer du sein, les troubles de fertilité, ou encore le syndrome de fatigue chronique11. Bien que l’on sache que NPAS2 a un rôle central dans les processus circadiens, son rôle précis dans la sensibilité individuelle aux variations lumineuses et dans la régulation des rythmes saisonniers reste à être clarifié. Cependant, NPAS2 a déjà été associé à des anomalies de phase, de durée et de qualité du sommeil, avec par exemple la mise en évidence d’horaires de lever et de sommeil plus tardif chez des patients âgés avec ostéoporose, de difficultés aux horaires postés dans une population d’infirmière avec davantage de prise de café et d’alcool, de somnolence et de perturbations de la durée, de l’inerte et des phases de sommeil(11). Enfin une méta-analyse d’études d’association génétique en génome entier chez la drosophile a relevé que NPAS2 était associé aux anomalies de durée de sommeil(11).

Cette étude permet de préciser en partie les mécanismes physiologiques sous-tendant les effets saisonniers dans le TB qui semblent associés aux polymorphismes du gène NPAS2. Des études supplémentaires sont nécessaires pour intégrer utilement NPAS2 et la présence d’une composante saisonnière du TB dans les algorithmes de décision thérapeutique. Cela pourrait permettre à terme de proposer aux patients une médecine plus personnalisée et d’aider le clinicien dans son choix éventuel de thérapeutiques chronobiologiques ciblées.

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Références :

1. Phillips ML, Kupfer DJ. Bipolar disorder diagnosis: challenges and future directions. The Lancet. 2013;381(9878):1663‑71.

2. Merikangas KR, Akiskal HS, Angst J, Greenberg PE, Hirschfeld RMA, Petukhova M, et al. Lifetime and 12-month prevalence of bipolar spectrum disorder in the National Comorbidity Survey replication. Arch Gen Psychiatry. mai 2007;64(5):543‑52.

3. Perlis RH, Ostacher MJ, Patel JK, Marangell LB, Zhang H, Wisniewski SR, et al. Predictors of recurrence in bipolar disorder: primary outcomes from the Systematic Treatment Enhancement Program for Bipolar Disorder (STEP-BD). Am J Psychiatry. févr 2006;163(2):217‑24.

4. Maj M, Pirozzi R, Magliano L. Nonresponse to reinstituted lithium prophylaxis in previously responsive bipolar patients: prevalence and predictors. Am J Psychiatry. déc 1995;152(12):1810‑1.

5. Geoffroy PA, Bellivier F, Scott J, Etain B. Seasonality and bipolar disorder: A systematic review, from admission rates to seasonality of symptoms. J Affect Disord. 10 juill 2014;168C:210‑23.

6. Geoffroy PA, Bellivier F, Scott J, Boudebesse C, Lajnef M, Gard S, et al. Bipolar disorder with seasonal pattern: clinical characteristics and gender influences. Chronobiol Int. nov 2013;30(9):1101‑7.

7. Madden PF, Heath AC, Rosenthal NE, Martin NG. Seasonal changes in mood and behavior: The role of genetic factors. Arch Gen Psychiatry. 1996;53(1):47‑55.

8. Jang KL, Lam RW, Livesley WJ, Vernon PA. Gender differences in the heritability of seasonal mood change. Psychiatry Res. 30 mai 1997;70(3):145‑54.

9. Bambilla C, Gavinelli C, Delmonte D, Fulgosi MC, Barbini B, Colombo C, et al. Seasonality and Sleep: A Clinical Study on Euthymic Mood Disorder Patients. Depression Research and Treatment. 2011;2012:e978962.

10. Association AP. Dsm IV: Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. Édition : 4th Revised edition. Washington, DC: American Psychiatric Press Inc.; 1994. 620 p.

11. Geoffroy PA, Lajnef M, Bellivier F, Jamain S, Gard S, Kahn JP, Henry C, Leboyer M, Etain B. Genetic association study of circadian genes with seasonal pattern in bipolar disorders. Scientific Reports. Sous presse.

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