"Le microbiote intestinal ramène la médecine à son ADN initial : une approche beaucoup plus holistique"
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"Le microbiote intestinal ramène la médecine à son ADN initial : une approche beaucoup plus holistique"

Publié le 25 avril 2022

Interview avec Pierre-Yves Mousset, CEO de Gynov et Novobiom. 

Selon l’Inserm, une alimentation anti-inflammatoire réduit le risque de dépression de 24 %. Pouvez-vous nous parler de l’incidence du microbiote intestinal sur la santé mentale des individus ?

Depuis une dizaine d’années, on dispose de plus en plus de données sur les liens entre les maladies psychiatriques et la dysbiose, qui est une dérégulation de l’écosystème intestinal. On observe tout particulièrement la présence d’un syndrome d’hyperperméabilité de l’intestin. Les cellules intestinales laissent passer des liquides, des molécules, mais aussi des morceaux de bactéries, voire des bactéries entières, qui pénètrent dans l’intestin et provoquent une inflammation. Et d’ailleurs, les mécanismes de relâchement de la barrière intestinale sont également observés au niveau de la barrière hémato-encéphalique. Ainsi, il en résulte très souvent une inflammation du système nerveux central. 

C’est un peu la question de la poule et de l’œuf ! L’anomalie du microbiote est-elle responsable des problématiques neuropsychiatriques ou l’inverse ? On n’a pas vraiment de réponse, tout cela se co-construit de manière dynamique. Même logique pour les comorbidités gastro-intestinales (diarrhée, constipation…) qui sont souvent associées aux pathologies mentales… Je n’aime pas trop le terme de « comorbidité ». Une dépression avec une constipation, pour moi, ce sont probablement deux manifestations de la même maladie à deux endroits différents du corps.  

Pour revenir au fond de la question, on observe souvent des aspects inflammatoires dans la dépression. C’est quelque chose qui aggrave la dysbiose intestinale qui, elle-même, est génératrice d’inflammation. On est alors dans un cercle vicieux. D’où l’intérêt d’adresser comme une nouvelle cible thérapeutique les anomalies du microbiote intestinal pour essayer d’améliorer la situation globale en psychiatrie.

Avec plus de 200 millions de neurones dans notre tube digestif, peut-on dire que l’intestin est un véritable « deuxième cerveau » ?

L’expression est un peu trop « cérébro-centrée », mais c’est vrai qu’il y a un nombre de neurones absolument incroyable dans l’intestin. Ces neurones sont issus de la même origine embryonnaire que le cerveau et la moelle épinière, et ont participé à la construction du système digestif. 

Tous les jours, on mange des choses différentes, et notre corps doit s’adapter. C’est en ça que les neurones sont extrêmement utiles. Ils forment un système nerveux entérique très développé et extrêmement important pour la régulation de la digestion et la communication entre le cerveau et les fonctions digestives. 

A l’inverse, le microbiote intestinal et ses milliards de bactéries communiquent également avec le cerveau : ce qui se passe dans le microbiote est relayé par le système nerveux entérique et donne des informations au cerveau. La communication fonctionne dans les deux sens. 

En quoi consiste la microbiothérapie, qui vise à réconcilier le microbiote et l’humain ?

Pour moi, la microbiothérapie est une approche multicibles des causalités circulaires qui prévalent dans la dysbiose intestinale. À la base de cette définition, il y a un concept développé par les chercheurs Joël Doré, Hervé Blottière et Maarten van de Gucht qui, depuis quelques années, ont raisonné autour de problématiques de causalité circulaire. 

Quand vous êtes en bonne santé, votre microbiote intestinal est riche et diversifié. Il est en contact étroit avec la paroi intestinale qui est imperméable et avec laquelle il interagit en permanence, notamment pour apporter des nutriments mais aussi pour développer votre tolérance immunitaire. Enfin, vous avez des systèmes antioxydants naturels qui prennent tout cela en charge de façon harmonieuse. C’est un cercle vertueux. 

Sauf que, parfois, sous l’influence de facteurs extérieurs ou inhérents à l’être humain (génétique, perturbateurs endocriniens, grandes cures d’antibiotiques à large spectre, etc), vous allez perturber ce système. Et votre microbiote s’appauvrit tant de manière qualitative que quantitative. Ce qui génère une hyper-perméabilité intestinale, de l’inflammation et une dysimmunité. Sans oublier un excès de stress oxydant qui déborde le système d’antioxydation naturel. D’un cercle vertueux vous êtes passé à un cercle vicieux. Et cela peut aller extrêmement vite, car on est dans des écosystèmes à renouvellement très rapide. 

Donc si on veut agir sur le microbiote de façon durable, il faut agir à plusieurs endroits. C’est pourquoi la microbiothérapie utilise des éléments qui ciblent en même temps le microbiote intestinal mais aussi la perméabilité intestinale, les aspects immunitaires, le système antioxydant…

70 % des personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme souffriraient de troubles gastro-intestinaux. Vous portez le projet ProbiAutism avec la Fondation FondaMental qui vise justement à améliorer les symptômes gastro-intestinaux de ces personnes, notamment à travers la microbiothérapie. Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus sur ce projet, ses étapes et ses impacts attendus ?

Nous avons déjà mené un premier projet où notre approche de la microbiothérapie multicibles des causalités circulaires a ouvert des perspectives prometteuses pour les patients dépressifs résistants qui souffrent de troubles gastro-intestinaux. Deux grandes études précliniques sur des souris ont révélé un effet synergique des différents ingrédients du traitement : le résultat est supérieur à la somme des bénéfices de chaque ingrédient pris individuellement. Nous avons donc déposé un brevet et nous allons lancer avec la Fondation FondaMental une étude clinique auprès de patients dépressifs résistants. 

Dans le cadre du projet ProbiAutism et pour améliorer les symptômes gastro-intestinaux des personnes avec des troubles du spectre de l’autisme, nous souhaitons tester dans un modèle pré-clinique puis valider par une étude, la modulation de la composition du microbiote intestinal, et l’amélioration des troubles du comportement, grâce à une microbiothérapie associant différents composants ciblant la restauration de la perméabilité intestinale. Cette microbiothérapie comprendrait un probiotique producteur de neuromédiateur, un acide aminé, un polyphénol et un complexe antioxydant vitamino-minéral déterminé selon les déficits fréquemment observés dans l’autisme.

Le projet comporte deux parties. D’abord, une étude pré-clinique d’une durée de 18 mois qui sera menée chez des souris possédant une mutation génétique associée à un comportement comparable aux troubles du spectre de l’autisme. Dans l’hypothèse où cette première étude serait positive, l’étude clinique aura pour but de tester l’efficacité de la microbiothérapie chez de jeunes adultes souffrant de ces troubles sans retard intellectuel pour améliorer leurs symptômes gastro-intestinaux (perméabilité de la barrière intestinale, dysbiose, constipation…) ainsi que les troubles du comportement (anxiété, interaction sociales). 

Si l’on parvient, en modulant le microbiote, à améliorer les troubles intestinaux, ce serait déjà un énorme progrès. Et si l’on obtient en plus un bénéfice sur la dimension cognitive, ce serait la cerise sur le gâteau et cela répondrait à des problématiques qui sont extrêmement douloureuses pour un grand nombre de patients et leurs familles. 

J’ai cru comprendre qu’il y avait beaucoup de start-up qui travaillaient sur le microbiote. Pourriez-vous nous éclairer sur les solutions innovantes qui sont en train de voir le jour dans ce domaine ?

On assiste en effet à une explosion du nombre de start-up dont certaines sont déjà des licornes valorisées à plus d›1 milliard de dollars. La majorité d’entre elles sont en Amérique du Nord mais l’Europe et l’Asie ne sont pas en reste.

Il y a plusieurs approches très prometteuses. Dans le premier cas, là où il y a le plus grand nombre de start-up, on cherche à améliorer une fonction altérée avec un LBP (Live Biotherapeutic Product), c’est-à-dire une bactérie isolée, voire deux ou trois au maximum. Dans le deuxième cas, on entend moduler le microbiote beaucoup plus drastiquement avec un consortium de plusieurs dizaines de bactéries. On agit là sur tout l’écosystème du microbiote. Et enfin, dans le troisième cas, quand on est vraiment dans une situation où la dysbiose intestinale est telle que ce n’est même pas la peine de penser à la moduler, on procède un reset complet du microbiote en ayant recours aux transferts de matière fécale. Bien qu’encore au stade préliminaire, cette piste donne déjà des résultats tout à fait intéressants aux Etats-Unis chez les personnes avec troubles du spectre de l’autisme. 

En quoi ces innovations autour du microbiote intestinal pourraient-elles transformer notre manière d’appréhender la lutte contre les maladies mentales ? 

Nous avons évoqué de nouvelles perspectives exploitant les connaissances sur le microbiote intestinal pour la prise en charge d’affections telles que la dépression et les troubles du spectre de l’autisme. Il y a aussi d’autres pistes prometteuses. Très concrètement, si vous prenez les antipsychotiques qui sont prescrits pour traiter certaines schizophrénies et troubles bipolaires, ce sont des médicaments dont l’équilibre posologique est parfois difficile à obtenir pour un individu donné. Et souvent la marge thérapeutique est assez étroite parce que vous pouvez rapidement avoir des effets secondaires. Il arrive qu’un patient prenne 20 kilos en quelques mois sans avoir changé d’alimentation. Que s’est-il passé ? Le microbiote intestinal a métabolisé une partie des médicaments et a produit des molécules toxiques. Ainsi, essayer de le moduler pour améliorer la tolérance est un vrai axe de progrès pour soulager le quotidien des personnes avec une schizophrénie ou des troubles bipolaires.

Plus globalement, l’idée c’est donc d’essayer de sensibiliser, de préparer le patient à l’action pharmacologique : avant de lui donner le traitement, vous préparez son microbiote pour qu’il puisse le recevoir de manière efficace et bien le tolérer.

C’est une façon de changer l’approche thérapeutique de la médecine traditionnelle au profit d’une approche beaucoup plus holistique. D’une certaine manière, le microbiote intestinal ramène la médecine à son champ originel, son ADN initial, qui est d’appréhender globalement l’être humain et de sortir de la seule logique d’organes. Et donc d’appréhender les traitements proposés de manière plus globale : il s’agit d’offrir au patient un traitement pour lequel son corps est préparé afin d’optimiser la réponse thérapeutique. 

Au moment où nous nous parlons, les start-up américaines semblent en avance sur le reste du monde. Quels sont les freins à l’innovation en Europe ? Et quelles mesures pourraient libérer les énergies et permettre aux start-up européennes de se positionner sur ce marché ?

C’est surtout une histoire de financement. Il y a beaucoup plus d’argent disponible de l’autre côté de l’Atlantique. Et puis, il y a une problématique de séquence du financement. Alors oui, les pouvoirs publics nous accompagnent très bien au début, jusqu’à la phase 1. Sauf que pour faire rentrer la big pharma et des investisseurs capables de couvrir les frais des études cliniques qui coûtent extrêmement cher, il faut avoir fini la phase 2. Résultat : 9 start-up sur 10 s’effondrent à 100 mètres du but.

De plus, si l’on veut davantage de licornes en France, ce n’est pas seulement l’accompagnement financier qu’il faut repenser mais tout l’écosystème. Pour pouvoir développer une start-up biotech correctement, il faut évidemment des laboratoires in-house mais aussi beaucoup de prestations externes. Or, l’écosystème est beaucoup moins riche qu’en Amérique du Nord. Par exemple, une fois que vous avez développé votre matériel vivant, comment le produire ? On n’a pas assez d’usines spécialisées pour le faire. Ce qui conduit beaucoup de sociétés à passer de l’autre côté de l’Atlantique pour des questions de bioproduction… Il est urgent de mener une vraie réflexion de filière, faute de quoi les projets franco-français risquent de devenir américains, comme cela a été le cas pour la société Moderna. 

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