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"Les recherches récentes placent l’aide aux aidants comme deuxième facteur de rétablissement des personnes souffrant de troubles psychiques, après les traitements médicamenteux."

Publié le 12 octobre 2022

 

En France, 8.3 millions de personnes adultes sont des aidants qui accompagnent au quotidien un proche malade, en situation de handicap ou de dépendance. Quelle définition donneriez-vous à l’aidant, de vos points de vue respectifs de psychiatre et d’aidant ?

François Morlé, aidant et bénévole UNAFAM (Union Nationale de Familles et Amis de personnes Malades et/ou handicapées psychiques) : Je définirais l’aidant comme un « passeur d’espoir ». L’aidant est l’interlocuteur privilégié d’une personne touchée par des troubles psychiques, qui l’accompagne et le soutien dans son projet de vie.  La plupart du temps, l’aidant est un proche : parent, frère, sœur, enfant, ou encore ami, voisin, colocataire.

Romain Rey, médecin psychiatre, responsable des Centres Experts FondaMental et du Centre Lyonnais des aidants en psychiatrie (Hôpital Le Vinatier de Lyon) : L’aidant est avant tout un partenaire, à la fois du professionnel de santé et du proche. L’accompagnement d’une personne avec un trouble psychique par un aidant est un facteur très favorable vis-à-vis du rétablissement. En outre, les aidants constituent également une population plus vulnérable sur le plan de la santé psychique et physique du fait de leur rôle d’aidant.

Quel est le rôle de l’aidant dans le parcours de santé de son proche ? 

François Morlé : L’aidant accompagne le proche dans son parcours vers le rétablissement, dans la bienveillance et en respectant ses choix. Il est attentif à ses besoins, qui peuvent varier avec le temps et recouvrir des réalités diverses selon ses difficultés. Cela peut impliquer un accompagnement au quotidien, un soutien lors de crises d’angoisse ou une aide pour effectuer des tâches administratives.

Romain Rey : L’aidant joue un rôle capital dans un parcours de soin souvent complexe. Toutefois, sa priorité doit être de préserver l’autonomie et de respecter les choix du proche. Par sa présence, l’aidant redonne également confiance à son proche dans la possibilité d’un rétablissement et la réalisation de projets de vie, comme une reprise d’études ou la recherche d’un emploi.

Comment définiriez-vous la relation entre un proche et son aidant ?

François Morlé : Dans l’idéal, cela devrait être une relation de confiance. Un grand nombre de malades psychiques n’ont pas la capacité de reconnaître pleinement leur maladie, ce qui peut être un frein à leur rétablissement. L’aidant doit être attentif à tout progrès de son proche et l’encourager tout en préservant son autonomie. 

Romain Rey : La relation entre proche et aidant évolue et acquiert de la maturité avec le temps. Il s’agit là d’un apprentissage au quotidien basé sur l’expérience personnelle, mais aussi sur les connaissances et compétences acquises auprès des professionnels de santé, notamment grâce aux programmes de psychoéducation disponibles, et des autres aidants avec le rôle essentiel joué par les associations de familles.

Quelles relations entretiennent (ou devraient entretenir) le soignant et l’aidant ? Comment collaborent-ils ? Est-ce que l’on peut parler d’un binôme aidant/soignant au service du patient ?

Romain Rey : Plus qu’un binôme soignant/aidant, je parlerais de partenaires. Si le soignant apporte un savoir théorique sur la maladie, l’aidant, lui, a un savoir expérientiel développé dans l’accompagnement au long cours de son proche. En revanche, les aidants constituent une population vulnérable, qui doit faire l’objet d’une attention particulière des professionnels de santé pour prévenir ou limiter l’impact de leur engagement au quotidien auprès de leur proche.

François Morlé : L’aidant a de fortes attentes envers les soignants, surtout en début de maladie. Il existe un risque de relations conflictuelles lorsque la famille a des attentes irréalistes et lorsque les soignants considèrent l’entourage comme un problème supplémentaire. Pour être vraiment au service du patient, il est important que chacun, dans le binôme aidant / soignant, connaisse et reconnaisse le rôle de l’autre.  

Combien de temps un aidant consacre-t-il par semaine à son proche ? 

François Morlé : Plus que le temps passé, la notion de charge mentale correspond mieux à ce que vit l’aidant. Particulièrement en début de parcours, l’aidant a tendance à vouloir être disponible à tout instant pour prévenir ou gérer les conséquences de conduites à risque, pour surveiller la prise de médicaments ou encore soutenir son proche lors d’une crise d’angoisse. A situation équivalente, cela peut être vécu de façon très différente, car le sentiment d’obligation envers le proche peut être contre-productif.  

Romain Rey : L’aidant sera sollicité différemment en période initiale des troubles, en période de rémission ou en période de crise.  Au long cours, les troubles psychiques impactent de façon très différente le niveau d’autonomie des personnes. De plus, les troubles psychiques impliquent une vulnérabilité tout au long de la vie, c’est pourquoi les aidants vivent au quotidien avec la crainte d’une rechute ou d’un évènement imprévu.

Quel est l’impact de l’engagement de l’aidant sur sa vie professionnelle ? 

François Morlé : De nombreux aidants éprouvent des difficultés à poursuivre normalement une activité professionnelle. Plus de 40 % d’entre eux déclarent que leur situation économique est fragilisée par la maladie de leur proche, selon un baromètre publié par l’UNAFAM en 2020.

Romain Rey : Dans l’expérience clinique, les aidants sont souvent amenés à devoir poser des jours de congés pour accompagner leur proche, rencontrer les soignants ou bénéficier eux-mêmes d’interventions. Certains doivent se résoudre à prendre un temps partiel ou renoncer à leur emploi pour pouvoir aider leur proche.

Qu’en est-il de sa santé ? 

Romain Rey : Le fait d’être aidant impacte la santé psychique et physique des personnes. En comparaison avec la population générale, les aidants présentent davantage de symptômes anxieux, dépressifs et de pathologies somatiques (cancers, complications cardio-vasculaires…). Dans le Centre Lyonnais des Aidants en Psychiatrie que je coordonne, 58% des aidants accueillis présentent un état dépressif préoccupant. En comparaison, le taux attendu en population générale est de 2 à 8%. De plus, des études internationales portant sur différentes populations d’aidants démontrent un impact majoré chez les aidants accompagnant un proche avec un trouble psychique.

François Morlé : Trois aidants sur cinq considèrent que la maladie de leur proche a un impact sur leur propre santé. Cet impact est dû au stress chronique mais aussi au fait que les aidants priorisent avant tout l’accompagnement de leur proche et négligent parfois leurs propres besoins en soins.

Qu’en est-il de sa vie personnelle ?  

Romain Rey : Être aidant a des conséquences sur la sphère familiale, notamment au sein du couple et dans la relation parent/enfant. Sur le plan amical et social, les aidants s’isolent progressivement du fait de la stigmatisation des troubles psychiques. Enfin, les loisirs sont souvent les premiers sacrifiés pour l’accompagnement du proche, alors qu’il est essentiel de se ménager des temps de répit pour tenir dans la durée et garder son rôle d’aidant.

François Morlé : La vie personnelle change souvent radicalement. Le quotidien devient imprévisible, que ce soit pour le travail ou pour les loisirs. Sans aide pour lui-même, plongé dans un sentiment d’insécurité et d’impuissance, l’aidant est aspiré dans une spirale négative traduisant l’envahissement de toute sa vie par la maladie.  

Avez-vous reçu une formation pour apprendre à être aidant ou pour apprendre à travailler, quand on est un professionnel de santé, avec un aidant ?  

Romain Rey : Je n’ai découvert les associations de familles et en particulier l’Unafam qu’à la fin de mes études de médecine. Étudiant, j’avais l’idée fausse que le secret médical rendait complexe la communication avec les familles et qu’il fallait des compétences spécifiques, comme être thérapeute familial, pour parler aux proches. En réalité, tout professionnel de santé dispose des connaissances et des compétences nécessaires pour informer et accompagner les proches tout en respectant le secret professionnel. C’est d’ailleurs une mission essentielle pour tout professionnel intervenant dans le champ de la santé. Désormais, nous sommes très attentifs à développer les enseignements concernant l’aide aux aidants au cours de la formation initiale et continue des professionnels de santé.

François Morlé : Il existe des associations de famille comme l’UNAFAM, qui proposent des rencontres avec des pairs aidants et bénévoles, ainsi que des formations pour approfondir ses connaissances. Les aidants peuvent également bénéficier de programmes de psychoéducation animés par des professionnels de santé.

Comment fonctionne l’entraide entre pairs ? 

François Morlé : L’aide entre pairs proposée par l’UNAFAM se décline de plusieurs manières : des groupes de parole, des conférences, des journées d’information, des ateliers… Elle passe également par un accueil individualisé des aidants par des bénévoles formés à l’écoute bienveillante, pour les aider à sortir de l’isolement.

Romain Rey : Les associations de familles proposent des dispositifs de très grande qualité, complémentaires aux ressources proposées par le sanitaire, et disponibles sur l’ensemble du territoire français. La rencontre avec d’autres aidants, qui ont vécu et pu surmonter des difficultés similaires, est porteuse d’espoir.

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui devient aidant ? 

Romain Rey : Je leur conseillerais de se faire aider le plus tôt possible, et de ne pas se sentir coupable de faire cette démarche. Être aidé soi-même, c’est à dire informé, formé et soutenu est un facteur essentiel lorsque l’on est aidant. Les recherches récentes placent l’aide aux aidants comme deuxième facteur de rétablissement des personnes souffrant de troubles psychiques, après les traitements médicamenteux. Or actuellement, seuls 10 % des aidants sont connectés au réseau d’aide aux aidants, souvent très tardivement, et de façon très inégale sur l’ensemble du territoire.

François Morlé : Surtout, il ne faut pas rester seul ! Je leur recommanderais de prendre contact le plus tôt possible avec une association de familles pour rencontrer d’autres aidants. Cela leur permettra de se construire un réseau de soutien, particulièrement important pour assumer ce rôle dans la durée.

Quelles ressources lui conseillez-vous ? 

Romain Rey : Il ne faut pas hésiter à rencontrer les soignants. Ceux-ci peuvent orienter vers des associations de familles ou vers des programmes spécifiques proposés par des professionnels de santé, comme le programme de psychoéducation “BREF”, co-construit et co-animé par les soignants et l’UNAFAM. BREF est un programme de psychoéducation pour les aidants, il est accessible à tous les aidants qui en font la demande, sans condition de diagnostic ou de durée d’évolution du trouble chez le proche.

François Morlé : A travers l’UNAFAM, les familles peuvent découvrir des adresses et des interlocuteurs susceptibles de leur apporter du soutien.  L’association propose aussi des formations gratuites en ligne. Il existe aussi une application smartphone « eBREF », qui permet de localiser près de chez soi les ressources disponibles pour les aidants.

Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur le travail des soignants et des aidants ? 

François Morlé : Comme beaucoup de personnes touchées par le handicap, un certain nombre de proches souffrant de troubles psychiques sont retournés vivre au sein de la famille lors de la crise sanitaire, ce qui a considérablement augmenté le stress et le risque d’épuisement des aidants. Les mesures mises en place pour éviter la propagation du virus ont perturbé beaucoup de malades psychiques et entraîné des rechutes. Grâce à la mobilisation des associations mais aussi grâce aux offres de psychoéducation des professionnels, les effets délétères de la crise sur les aidants ont pu être partiellement atténués. 

Romain Rey : Si le confinement a reporté une partie de la charge de soin sur les aidants, il a aussi contribué à promouvoir et expérimenter de nouvelles pratiques telles que les plateformes numériques ou téléphoniques, ou les soins en distanciel. A l’hôpital Le Vinatier, une équipe spécialisée et une plateforme téléphonique ont été mises en place pour favoriser la mise en relation d’un grand nombre d’usagers, dont les aidants, au réseau d’entraide. Par ailleurs, une étude nationale en ligne, que nous avons réalisée en collaboration avec l’Unafam pendant le premier confinement, a montré que parmi les aidants, ceux qui avaient bénéficié de psychoéducation familiale avaient mieux supporté la crise sanitaire. 

Quelles politiques gouvernementales appelez-vous de vos vœux pour la reconnaissance du travail des aidants ? 

François Morlé : Les politiques gouvernementales doivent soutenir les activités menées par les associations de familles et les soignants pour développer un réseau d’aide aux aidants alliant soutien entre pairs et psychoéducation et le rendre accessible à tous, le plus tôt possible sur l’ensemble du territoire. De plus, le gouvernement doit promouvoir et encourager les actions visant à informer la population générale sur la santé mentale, pour lever des tabous et lutter contre la stigmatisation des malades psychiques.

Romain Rey : La recherche médicale a démontré de façon robuste que la psychoéducation des aidants est une intervention extrêmement efficace et associée à un bénéfice double. Sur les aidants d’une part, dont elle permet de réduire le fardeau psychique et physique, sur les proches avec un trouble psychique d’autre part, dont elle réduit le risque de rechute et de ré-hospitalisation de façon majeure (jusqu’à moins 40%). En cohérence avec les recommandations de soins internationales et les rapports nationaux, nous souhaitons que des moyens soient accordés pour favoriser la généralisation de pratiques innovantes telles que le programme BREF, pour que l’aide aux aidants soit proposée de façon systématique dès le premier contact avec la maladie. Il est également essentiel de soutenir les associations de famille pour pérenniser leur rôle de partenaire clé du secteur sanitaire. Les investissements initiaux, en termes de dépenses et de ressources humaines, seront rapidement et largement compensés à court, moyen et long terme via les importants bénéfices attendus sur les personnes avec un trouble psychique et leurs aidants.

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