« Nous avons besoin de systèmes de détection pour les maladies mentales, à l’instar de ceux mis en place pour les maladies cardiovasculaires ou les cancers. »
Actualité

« Nous avons besoin de systèmes de détection pour les maladies mentales, à l’instar de ceux mis en place pour les maladies cardiovasculaires ou les cancers. »

Publié le 16 décembre 2022

Interview avec Andy Keller, Phd, Président et CEO du Meadows Mental Health Policy Institute. 

Andy Keller, vous êtes président et CEO du Meadows Mental Health Policy Institute, une organisation à but non lucratif basée au Texas. Pourriez-vous décrire brièvement les objectifs du Meadows Mental Health Policy Institute ?

Notre objectif principal est d’aider les habitants du Texas, ainsi que ceux du reste des États-Unis, à avoir accès aux meilleurs soins de santé mentale disponibles. Nous voulons être équitables et efficaces. Pour cela, le Meadows Mental Health Policy Institute peut mobiliser deux leviers : premièrement, nous nous efforçons, avec les dirigeants gouvernementaux, d’améliorer les politiques de santé mentale, y compris les politiques de financement ; deuxièmement, nous travaillons avec les systèmes de santé de tout le pays pour les aider à utiliser ce nouvel environnement réglementaire, afin de les rendre plus efficaces et plus accessibles.

Nous identifions les obstacles au développement des services de santé mentale, tels que les réglementations ou les niveaux de remboursement, et nous présentons ces questions à l’attention des législateurs et des élus aux niveaux fédéral et des États. Nous formons des coalitions avec d’autres acteurs qui se soucient de santé mentale. Par exemple, à la suite de la tragédie survenue l’été dernier à Uvalde, au Texas, nous avons collaboré avec des dirigeants à Washington DC pour adopter une loi spécifique traitant de la composante psychiatrique de cette tragédie, afin d’aider les personnes affectées. 

Aux États-Unis, certains fournisseurs de soins de santé ne traitent que les problèmes de santé mentale, tandis que d’autres prestataires prennent soin de tout le corps. Ce que nous essayons de faire, c’est de les rassembler en établissant des partenariats au niveau organisationnel, mais aussi en travaillant directement avec les cliniciens. Par exemple, dans les cabinets des médecins généralistes, nous les aidons à employer un professionnel de la santé mentale, qui est présent avec l’infirmière et le reste de l’équipe de soins pour aider les patients à accéder aux services de santé mentale dont ils ont besoin. Les besoins en santé mentale dans le monde sont à un niveau extrêmement élevé, qui a augmenté avec la pandémie. Nous ne pouvons donc pas attendre que les individus viennent d’eux-mêmes voir des spécialistes de la santé mentale : il faut que ces spécialistes soient intégrés dans le parcours de soin primaire.

La recherche montre que le diagnostic de la dépression est souvent fait avec retard en France, en partie à cause d’un manque de compréhension des maladies mentales par les médecins généralistes et de la stigmatisation sociale entourant ces maladies. Entre l’apparition des symptômes dépressifs et le premier traitement, deux à huit ans peuvent s’écouler en moyenne. Quelles actions le Meadows Mental Health Policy Institute a-t-il développées pour aider les médecins généralistes à diagnostiquer la dépression ?

En moyenne, les patients souffrant de dépression ne reçoivent de soins que 8 à 10 ans après le début de leurs symptômes. Nous avons besoin de systèmes de détection pour les maladies mentales, à l’instar de ceux mis en place au cours des dernières décennies pour les maladies cardiovasculaires ou les cancers. Les individus doivent apprendre à faire des dépistages, en autonomie ou avec un professionnel de santé, pour différents troubles mentaux, comme la dépression ou l’anxiété. Dans les faits, le dépistage précoce des troubles mentaux a un impact considérable sur le pronostic des patients. Les chercheurs et les professionnels de l’industrie pharmaceutique recommandent donc de commencer le dépistage de la dépression à 12 ans et de l’anxiété à 8 ans.

Il existe deux obstacles majeurs à la mise en œuvre de ce type de dépistage des troubles mentaux ; Bien sûr, il y a la question du coût d’embauche de professionnels de la santé mentale, mais il y a aussi une réticence à poser un diagnostic en santé mentale si les patients n’ont pas accès aux soins nécessaires par la suite. Heureusement, l’inclusion de services de santé mentale dans les cabinets de médecins généralistes peut aider à compenser la pénurie de professionnels de la santé mentale au Texas. En moyenne, un psychiatre travaillant dans un cabinet de soins primaires peut recevoir 3 à 5 fois plus de personnes que s’il pratiquait seul. Nous nous efforçons de combler l’écart pour obtenir un diagnostic dans un délai d’un an. 

Le Meadows Mental Health Policy Institute travaille également avec les communautés pour faire de la sensibilisation. En effet, les individus peuvent parfois hésiter à consulter un médecin en raison de difficultés d’accès au soin, de la stigmatisation ou d’autres raisons. Nous coopérons avec les dirigeants communautaires pour aider les patients à obtenir des soins plus rapidement. Dans l’ensemble, nous faisons de notre mieux pour les aider à vivre leur vie au meilleur de leurs possibilités. 

Pourquoi commencer le dépistage si tôt ? Ces âges spécifiques sont-ils importants ?

De façon globale, la moitié des maladies mentales ont déjà commencé à apparaître au moment où un enfant atteint l’âge de 14 ans. Par exemple, la plupart des troubles anxieux commencent dans la petite enfance, à l’âge de l’école primaire. Statistiquement, à l’âge de 5 ans, la moitié des troubles anxieux ont déjà commencé. La grande majorité des dépressions et des troubles de l’humeur commencent à l’adolescence, et les pathologies psychiatriques graves comme les troubles psychotiques, la schizophrénie ou les troubles bipolaires commencent à la fin de l’adolescence et au début de l’âge adulte. A 25 ans, c’est-à-dire lorsque le cerveau a fini de se développer, 75% des maladies mentales ont commencé à émerger. C’est pourquoi nous devons venir en aide à ces populations plus tôt dans leur vie, et cela nous oblige à envisager des soins primaires pédiatriques en santé mentale. 

À Meadows, nous travaillons avec les principaux hôpitaux pour enfants, les dirigeants politiques et les systèmes de santé pour mettre en place cette transition vers les soins pédiatriques. L’une des conséquences regrettables d’un retard dans le diagnostic est que de nombreux jeunes ne sont diagnostiqués qu’à l’âge adulte, alors qu’il leur serait beaucoup plus facile d’apprendre à faire face à leurs symptômes pendant l’enfance. Les familles et les parents jouent un rôle essentiel pour fournir aux enfants des soins de santé mentale appropriés. 

Dans certaines des initiatives que le Meadows Mental Health Policy Institute a mises en œuvre à grande échelle pour la dépression, nous avons vu plus de 30 à 40% des personnes obtenir une rémission complète, avec ou sans médicaments. Un autre tiers des patients connaissent une amélioration significative, même s’ils présentent encore des symptômes. Ces individus peuvent donc poursuivre des études ou trouver un emploi sans être trop gênés par leurs symptômes. Pour les 30% restants, les traitements conventionnels peuvent ne pas fonctionner, mais il existe des traitements alternatifs tels que la sismothérapie, la stimulation magnétique transcrânienne et les nouveaux médicaments. En revanche, ils peuvent être difficiles d’accès. Pour l’instant, ces soins ne sont pas abordables et ne sont accessibles que par l’intermédiaire de centres médicaux et de recherche. Pour améliorer l’accès à ce type de soins innovants, nous devons convaincre les gouvernements locaux, mais aussi les leaders de l’industrie (car la plupart des assurances aux États-Unis sont payées par les employeurs) de financer ces traitements.

Grâce à la philanthropie et au financement des gouvernements locaux, les patients peuvent accéder à des traitements innovants dans les centres de recherche. À son tour, la recherche démontre l’efficacité du traitement, qui est l’un des principaux arguments que nous présentons aux responsables gouvernementaux lorsqu’il s’agit de politiques de santé publique. Après la pandémie, toute la société avait une compréhension beaucoup plus profonde de l’effet de la santé mentale sur le bien-être général. 

Nous sommes à un moment crucial, maintenant et pour les prochaines années, où nous pouvons faire des progrès rapides en apportant des preuves concrètes de ce que les chercheurs, tant aux États-Unis qu’en France avec la Fondation FondaMental, savent depuis des années. Nous devons montrer aux décideurs qu’il faut investir massivement dans la psychiatrie de précision, rendre les soins de santé mentale accessibles à tous et déstigmatiser les maladies mentales.

Quelles sont les ressources actuellement disponibles pour les adultes et les enfants ?

À l’échelle mondiale et nationale, nous avons besoin d’un accès équitable aux soins de santé mentale. Il faut rappeler que le système de santé américain est essentiellement privé. A titre d’exemple, il existe un système de santé individuel au Texas appelé Baylor Scott and White, avec lequel nous travaillons régulièrement. C’est le plus grand système de santé à but non lucratif du Texas, et l’un des plus importants aux États-Unis, avec 185 cliniques pour 2 millions de Texans. Le Meadows Mental Health Policy Institute travaille avec des dizaines de systèmes de santé similaires pour les aider à s’améliorer au fil du temps et à mesurer leurs progrès. Au cours de la prochaine décennie, nous avons pour ambition d’améliorer les soins de santé mentale au Texas d’une manière comparable à la façon dont les cliniciens ont été formés pour gérer les risques de maladie cardiaque depuis les années 1980. 

Selon vous, quelle est l’efficacité de l’éducation à la prévention ?

La plupart du temps, le retard dans l’obtention du traitement est causé par un retard dans la reconnaissance des symptômes. Il existe pourtant des outils de diagnostic très efficaces entre les mains des médecins. En particulier, le test PHQ9 pour adolescents est incroyablement efficace, avec une fiabilité de 80% à 90%. En réalité, les seules fois où ce test ne fonctionne pas, c’est lorsque les personnes mentent pour éviter d’être diagnostiqués. Cette réticence est causée par la stigmatisation sociale perçue associée aux troubles mentaux. Pour cette même raison, il est préférable de laisser les patients remplir ces tests eux-mêmes, en toute confidentialité, car ils seront plus honnêtes. Grâce au développement de l’éducation préventive et d’une culture de détection des besoins, les personnes peuvent apprendre à s’auto-tester pour les troubles mentaux et obtenir de l’aide plus tôt. Nous passerions d’un taux de détection de 40 % à 80 %.

Une autre initiative du Meadows Mental Health Policy Institute est l’éducation préventive dans les écoles. Nous avons fait la promotion d’un programme de téléconsultation appelé Texas Child Health Access Through Telemedicine, ou TCHATT, qui permet aux éducateurs et au personnel scolaire de collaborer avec les autorités médicales de tout l’État pour les aider à reconnaître les signes de détresse chez un élève et à obtenir de l’aide lorsqu’ils sont inquiets. TCHATT s’étend actuellement aux districts intéressés à travers l’État.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce programme et ses objectifs ?

Il s’agit d’un programme de télémédecine conçu pour améliorer l’accès aux soins de santé mentale partout au Texas, et en particulier dans les régions qui en ont le plus besoin comme le Texas rural, car sa population est répartie sur des centaines de kilomètres. En moins de deux ans, la télémédecine a révolutionné l’accès aux soins de santé mentale dans les zones rurales du Texas.

L’objectif de TCHATT est de faire en sorte qu’il soit extrêmement facile pour les enseignants d’obtenir de l’aide lorsqu’ils s’inquiètent de la santé mentale d’un jeune. Il peut y avoir trois réponses différentes à un enfant en détresse : 

En cas d’urgence, l’enseignant peut faire en sorte que l’enfant ait accès à un psychiatre en téléconsultation dans l’heure qui suit. 

S’il ne s’agit pas d’une urgence, l’enseignant peut parler aux parents et ceux-ci peuvent obtenir de l’aide d’une personne de confiance ou d’un fournisseur de soins de santé dans la journée. 

Même lorsque les parents sont réticents, parce qu’ils pourraient faire face à des préjugés sociaux par exemple, l’enseignant peut maintenir une discussion ouverte avec eux et continuer à offrir de l’aide.

D’ici l’été 2023, TCHATT sera disponible pour toutes les écoles du Texas qui le souhaitent. Actuellement, un peu plus de 2 millions d’enfants ont accès à ce programme. D’ici la fin de l’année scolaire, ce nombre aura atteint 5 millions. Cela montre que la télémédecine fonctionne !

Le manque systémique de personnels de santé mentale a été exacerbé par une augmentation de la demande depuis la pandémie de Covid-19, mais l’une des choses positives qui en est ressortie est le passage à la téléconsultation. Dans le monde entier, la pandémie nous a rendus plus à l’aise avec la télémédecine. Les pratiquants ont été forcés de changer leurs habitudes par nécessité. La pandémie a incité davantage de personnes à utiliser cet outil, mais elle répondait également à un besoin préexistant d’accès aux soins de santé mentale dans les zones rurales.

Les solutions numériques telles que les applications de bien-être mental, les communautés en ligne et l’entraide entre pairs peuvent-elles offrir une première réponse aux épisodes dépressifs légers à modérés ?

Je pense que les applications de soins de santé ont un potentiel énorme. Même avec ces stratégies d’intégration, il n’y a pas assez de praticiens en santé mentale. Être capable de diffuser des informations, de pouvoir utiliser des outils numériques pour élargir la portée des praticiens, est important. Nous croyons que la façon la plus rapide et la plus scientifique de le faire est d’utiliser des protocoles établis et vérifiés. Il existe des outils numériques très prometteurs utilisant les mégadonnées et l’intelligence artificielle, mais ils doivent être utilisés dans des environnements contrôlés, avec la contribution attentive de spécialistes de la santé mentale. Les applications qui utilisent le PHQ9 sont intéressantes car elles peuvent faciliter le flux d’informations avec les praticiens. Les communautés en ligne peuvent être une source de réconfort et une mine d’informations. Le Meadows Mental Health Policy Institute soutient également le développement d’outils éducatifs et d’applications numériques pour s’autosurveiller et partager des données avec les praticiens.

Que pouvez-vous nous dire sur les progrès récents dans le traitement de la dépression ?

Malheureusement, la médecine de précision en psychiatrie est encore très récente. Il existe déjà des traitements bien établis, qui sont efficaces pour environ 70% des patients. Les 30% restants peuvent être pris en charge avec d’autres traitements plus récents, comme la stimulation magnétique transcrânienne, qui a des résultats très encourageants. J’ai beaucoup d’admiration pour le travail de la Fondation FondaMental en tant que pionnier de la recherche et défenseur de la médecine de précision. L’objectif du Meadows Mental Health Policy Institute est d’étendre les pratiques existantes et d’améliorer les protocoles afin d’intégrer et de promouvoir des méthodes de traitement éprouvées, comme l’ECT (électro-convulsivo-thérapie). Ce travail est complémentaire de celui de la Fondation FondaMental, qui consiste à repousser les limites de nos connaissances sur les maladies mentales. 

Pour conclure, je dirais que pour lutter contre la stigmatisation, le plus important est l’espoir. Là où notre impact est le plus fort, c’est quand nous pouvons aider les patients à aller mieux et à partager leurs histoires. 

Faites un don

Donnez aux chercheurs les moyens d’agir pour la recherche en psychiatrie, faites un don à la Fondation FondaMental

Je donne