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Schizophrénie et réussite sociale

Publié le 6 février 2019

Les avancées scientifiques récentes ont mis à jour le rôle de facteurs de risque environnementaux dans la survenue de la schizophrénie. Une équipe de recherche membre de la Fondation FondaMental (éq. 15 Inserm U955, Hôpitaux Universitaires Henri Mondor) s’est intéressée à une hypothèse alternative selon laquelle certains facteurs environnementaux pourraient être associés à des trajectoires délétères mais également à des trajectoires favorables : on parle alors de facteurs de variabilité. Les résultats de cette étude inédite, qui viennent d’être publiés dans Scientific Reports, montrent que trois facteurs associés à la survenue de la schizophrénie sont également associés à la réussite sociale au sein d’un échantillon de population réunissant des personnalités influentes du monde économique, politique et académique des années 1950, en France. Si ces résultats sont confirmés, ils pourraient contribuer à un changement de paradigme pour la recherche épidémiologique sur la schizophrénie et pour le concept de facteur de risque.

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Les facteurs de risque de schizophrénie sont-ils uniquement délétères ?

L’identification des facteurs de risque des maladies constitue un champ de recherche important dans toutes les disciplines médicales, indispensable à la mise en place de mesures de prévention.

Dans la schizophrénie, plusieurs facteurs sont associés à un risque accru de développer la maladie, parmi lesquels la migration, le fait d’être né en ville, le fait d’être né en hiver, le fait d’être l’ainé de sa fratrie et un âge paternel avancé.

Toutefois, on peut faire l’hypothèse que les facteurs associés à un risque accru d’une pathologie pourraient être classés en deux catégories et distinguer des facteurs de risque et des facteurs de variabilitéLes facteurs de risque sont associés uniquement à une évolution délétère de la condition médicale tandis que les facteurs de variabilité peuvent être à la fois associés à des conséquences défavorables mais aussi favorables.

Cette seconde hypothèse est intéressante car elle pourrait expliquer le paradoxe évolutionniste de la persistance de la schizophrénie. En effet, selon la théorie de la sélection naturelle, la vulnérabilité génétique associée à la schizophrénie aurait dû disparaître au fur et à mesure des générations, du fait de l’altération du fonctionnement et de la baisse du taux de reproduction des personnes malades. Le fait que des facteurs de risque soient en réalité des facteurs de variabilité pourrait donc expliquer le paradoxe de la persistance de la schizophrénie à travers l’évolution. Certaines études suggèrent d’ailleurs que les gènes de vulnérabilité de la schizophrénie seraient aussi associés à des conséquences positives, telle qu’une plus grande créativité.

Une analyse d’une base de données des années 50

Pour explorer cette hypothèse, les chercheurs de l’équipe Inserm de Psychiatrie translationnelle (Inserm U955, Hôpitaux universitaires Henri Mondor), membres de la Fondation FondaMental, ont étudié un échantillon de population caractérisé par sa réussite sociale exceptionnelle, situation antinomique du déclassement social souvent associé à la schizophrénie. En effet, la réussite sociale exceptionnelle nécessite une bonne compréhension de la réalité, des capacités cognitives et sociales remarquables, ainsi qu’une flexibilité et une motivation importantes qui sont autant de qualités ou de dispositions qui contrastent avec le tableau typique de la schizophrénie.

Ils ont travaillé à partir d’une base de données, recueillies dans les années 50, et récemment rendue publique. Un questionnaire avait à l’époque été envoyé par des chercheurs de l’INED (Institut National des Études Démographiques) aux personnalités françaises (listées dans le « Dictionnaire Biographique Français » de 1954, qui constituait un annuaire officiel des personnalités influentes de l’époque) ainsi qu’aux parlementaires et professeurs des universités parisiennes.

Les données recueillies ont permis, 60 ans plus tard, de tester l’association entre réussite sociale et 5 facteurs qui, dans des études antérieures, avaient été liés à un risque accru de schizophrénie (la migration, le fait d’être né en ville, le fait d’être né en hiver, le fait d’être l’ainé de sa fratrie, et un âge paternel avancé).

Parmi ces 5 facteurs considérés classiquement comme des facteurs de risque de schizophrénie, 3 étaient significativement associés à la réussite sociale : le fait d’être né en ville, le fait d’être le premier né d’une fratrie, et un âge paternel avancé.

Perspectives : un changement de paradigme pour la recherche épidémiologique ?

Ces analyses suggèrent que certains facteurs peuvent avoir à la fois des conséquences délétères (des pathologies sévères comme la schizophrénie) et favorables (la réussite sociale). Ils seraient donc non pas des facteurs de risque mais des facteurs de variabilité (facteurs de plasticité ou facteurs diversificateurs), qui favorisent la survenue de trajectoires variées.

Ce type d’étude pourrait changer notre compréhension du développement normal et pathologique et influencer notre capacité à concevoir la prise en charge et surtout la prévention de certaines maladies.
La première étape est de répliquer ces résultats sur des bases de données plus récentes. Par la suite, il serait intéressant d’explorer si des facteurs de risque génétiques sont aussi des facteurs de variabilité.
Si cette hypothèse est confirmée, la question ne serait plus simplement de savoir si un facteur augmente le risque de développer la maladie, mais s’il s’agit d’un facteur de risque ou un facteur de variabilité. Seuls les premiers devraient faire l’objet de mesures de prévention.

Dr Andrei Szöke

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Référence :

Scientific Reports, Schizophrenia risk factors in exceptional achievers: a re-analysis of a 60-year-old database. Andrei Szöke, Baptiste Pignon & Franck Schürhoff

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