
Formation en santé mentale périnatale : comment mieux accompagner les parents ?
Marine Dubreucq, sage-femme spécialisée en santé mentale et chercheuse postdoctorale, équipe départementale de psychiatrie périnatale de l’Allier et Fondation FondaMental
Julien Dubreucq, professeur de psychiatrie à l’Université Clermont Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand (Puy de Dôme), coordinateur de l’équipe départementale de psychiatrie périnatale de l’Allier, chercheur à la Fondation FondaMental
Les troubles psychiques pendant la grossesse et après la naissance (anxiété, dépression, psychose du postpartum, trouble de stress post-traumatique…) concernent jusqu’à une femme sur cinq dans les pays à revenu élevé. Trop souvent, ces difficultés passent inaperçues ou ne donnent pas lieu à un accompagnement ajusté, alors qu’elles ont un impact majeur sur la santé des parents, du bébé et de toute la famille.
LENA : une étude participative pour repenser la formation des soignants
Nous avons mené une étude qualitative participative pour identifier des moyens d’améliorer la formation des professionnels de santé sur la santé mentale périnatale. Nous avons voulu comprendre à la fois le vécu des parents confrontés à ces troubles et l’expérience des professionnels (sages-femmes, gynécologues, pédiatres, psychiatres, psychologues…).
Entre 2020 et 2022, 84 personnes ont participé à des entretiens et des groupes de discussion : des parents ayant une expérience vécue de troubles psychiques (dont certaines présentant une schizophrénie, un trouble bipolaire ou un trouble du spectre de l’autisme) ainsi que des professionnels de santé : sages-femmes, obstétriciens, pédiatres, psychiatres, psychologues et infirmiers.
L’originalité de notre travail tient à sa co-construction entre chercheurs, soignants et personnes concernées, c’est-à-dire les parents ayant vécu un trouble périnatal. Cette approche a permis d’identifier des pistes concrètes pour des formations adaptées aux besoins des parents et des soignants, en accord avec les recommandations du rapport des 1000 premiers jours, qui valorise l’implication des parents et des acteurs de terrain dans l’amélioration des pratiques et des formations professionnelles.
Des soignants motivés mais souvent mal préparés
Les professionnels de santé interrogés reconnaissent que le dépistage des troubles psychiques fait partie de leur rôle, mais beaucoup se sentent mal préparés pour en parler avec les parents et les orienter vers une prise en charge adaptée. Les sages-femmes, en particulier, disent se sentir démunies face aux situations complexes (parents présentant des idées suicidaires, ou des troubles psychiques sévères). Cette difficulté est d’autant plus préoccupante que le suicide représente aujourd’hui la première cause de mortalité maternelle en France jusqu’à un an après la grossesse.
Les attentes des parents : plus d’écoute, moins de jugement
Les parents souhaitent avant tout être entendus et compris, dans un cadre bienveillant et sans jugement. Ils valorisent une approche centrée sur la personne, un suivi continu entre la grossesse et le post-partum, ainsi qu’une relation de soins collaborative.
Certaines femmes ont partagé l’impact d’une expérience négative des soins sur leur santé mentale, évoquant un manque d’empathie, de problèmes de communication, un sentiment d’abandon après l’accouchement ou encore de la stigmatisation liée à un diagnostic de trouble psychique ou à l’autisme).
Des pistes concrètes pour la formation des soignants
De façon générale, les participants de l’étude appellent à un véritable changement de culture, pour considérer la maternité et le post-partum non pas comme un problème individuel, mais comme une transition qui implique la famille, l’entourage et la société.
Ils recommandent :
- D’intégrer la santé mentale périnatale dans les soins périnataux habituels, avec une approche centrée sur la famille entière et non seulement le bébé.
- De coconstruire les programmes de formation en santé mentale périnatale avec des personnes avec expérience vécue (mères et pères ou co-parents), en prenant en compte les spécificités des personnes vivant avec un trouble psychiatrique sévère ou un trouble du spectre de l’autisme.
- De développer une culture commune entre professionnels de santé mentale et autres professionnels de santé, pour permettre une compréhension claire des rôles de chacun et faciliter la coordination des parcours de soin. Cela pourrait se faire, par exemple, à travers des formations communes.
- De favoriser une approche en continuum pour promouvoir la santé mentale périnatale chez tous les parents, pour lutter contre la stigmatisation, soutenir le rétablissement personnel et faciliter l’engagement des parents et des professionnels de santé dans le parcours de soins, maximisant ainsi les effets positifs d’une détection et d’un accompagnement précoce.
- De former les professionnels de santé à parler de santé mentale à chaque consultation et pour tous les parents, à écouter et à faire face à la détresse, mais aussi à repérer les facteurs de protection en regard des risques identifiés.
- D’améliorer l’expérience des soins périnataux et de mettre en place des stratégies de prévention du stress et de l’épuisement professionnel pour les professionnels de santé, qui peuvent être affectés émotionnellement par leur travail.
Améliorer la formation des professionnels de santé en santé mentale périnatale ne se limite pas à transmettre des connaissances médicales : il s’agit avant tout d’améliorer la qualité de la relation de soins et d’adopter une approche orientée rétablissement de la santé mentale parentale. En intégrant l’expérience vécue des parents, en renforçant les compétences des soignants et en favorisant la coordination entre les différents professionnels de santé, nous pourrons proposer aux familles des soins efficaces et ajustés à leurs besoins. Cette transformation culturelle et pédagogique bénéficiera à la fois aux parents, au bébé et aux soignants eux-mêmes, et constitue un pas essentiel pour promouvoir la santé mentale parentale dans l’ensemble du parcours de soins et améliorer le bien-être familial.
Dans les suites de ce travail, une démarche paritaire de co-production entre professionnels de santé et personnes avec expérience vécue de l’association Maman Blues a conduit au développement d’un site internet sur la santé mentale périnatale pour les parents, les proches, les employeurs et les professionnels de santé -LENA-, d’une application mobile et d’un programme de formation des professionnels de santé.


