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« La recherche, c’est l’espoir d’en finir avec les tâtonnements »

Publié le 24 mai 2020

Quel reste, selon vous, le défi le plus urgent à régler pour les personnes présentant un trouble bipolaire ?

Le retard de diagnostic et l’absence de prévention restent aujourd’hui encore la règle et conduisent à des prises en charge inadaptées qui font courir un grave danger aux malades. Cela est surtout vrai dans le cadre des troubles bipolaires mixtes, plus difficiles à identifier.

Pendant 20 ans, j’ai été soignée pour dépression mélancolique pour laquelle on me prescrivait des antidépresseurs, très fortement déconseillés pour les personnes bipolaires. C’est seulement à l’âge de 40 ans passés que j’ai reçu le diagnostic de troubles bipolaires.

On ne va pas voir le médecin parce qu’on se sent heureux ! 

Comment éviter cela ?

Il n’y a pas de réponse simple. On ne se rend généralement pas compte qu’on est malade. Lorsqu’on va voir notre médecin, c’est souvent à l’occasion d’une phase dépressive.

Nous avons peu conscience de nos états exaltés et nous n’en parlons pas : on ne va pas voir le médecin parce qu’on se sent heureux ! Il faut parfois que cela aille loin, jusqu’à une hospitalisation, pour qu’un diagnostic soit posé.

Une meilleure formation des personnels soignants permettrait sans doute de mieux repérer les signaux d’alerte. En tout cas, il s’agit là d’un enjeu décisif car l’on sait que l’évolution de la maladie dépend beaucoup de la précocité du diagnostic et de la qualité de la prise en charge.

A quels défis fait encore face la prise en charge des malades ?

Les défis sont nombreux dans le domaine de la prise en charge. Un des premiers challenges pour le malade, c’est de parvenir à accepter la maladie ou en tout cas à la reconnaître. C’est une étape essentielle pour retrouver notre pouvoir d’agir. Cela étant, c’est un processus souvent long.

Renoncer à l’ivresse des états maniaques est difficile. Les contraintes de cette maladie sont redoutables, surtout lorsqu’on est jeune. Il nous faut éviter tout ce qui peut nous déstabiliser : les fêtes, les nuits blanches, les études compétitives, les postes à haute responsabilité et à fort stress.

L’observance des traitements n’est pas simple non plus, d’autant que les effets indésirables ne manquent pas : perte de cheveux, prise de poids, perte de libido. Nombreuses sont les personnes malades qui cessent leur traitement sans oser l’avouer à leur médecin.

Il m’a fallu du temps pour franchir ce cap et mesurer l’importance du respect de mon traitement. Je n’ai pas droit à l’erreur car j’en paie aussitôt le prix. Et les mises en danger peuvent déboucher sur des passages à l’acte terribles : les tentatives de suicide sont une problématique forte chez les personnes bipolaires.

Aujourd’hui, je n’oublie plus jamais que j’ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Je suis extrêmement attentive au respect d’une bonne hygiène de vie. Ma règle de conduite : on ne philosophe pas après 23h !

Je n’oublie plus jamais que j’ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Un autre défi, côté médecins cette fois-ci, tient à la prise en charge globale de la maladie. Trop nombreux sont encore les médecins qui se contentent de réguler les troubles de l’humeur en ignorant les maux du corps tels que la prise de poids, les troubles du sommeil, les maladies cardiovasculaires ou le diabète…

Les patients, de leur côté, n’en font pas non plus état à leur médecin, concentrés qu’ils sont sur la gestion de leur humeur qui leur cause des souffrances plus importantes à leurs yeux.

Cette situation est dramatique : d’abord parce qu’elle fait le lit des ruptures de traitement, mais aussi parce qu’elle est responsable d’une perte d’espérance de vie de plus de 10 ans pour les personnes avec troubles bipolaires, à cause de ces maladies somatiques associées, qui restent, aujourd’hui encore, très majoritairement non diagnostiquées et non traitées !

Qu’attendez-vous de la recherche ?

La recherche est une source considérable d’espoirs et d’attentes pour nous.

En premier lieu, c’est l’espoir d’en finir avec les tâtonnements dans les prises en charge. Le traitement de référence des troubles bipolaires ne fonctionne pas pour tout le monde…

Dans mon cas, ça n’a pas marché et ce n’est qu’après trois ans d’essais infructueux divers que nous avons fini par trouver une solution alternative qui m’était adaptée. C’est long trois ans, très long. On est en proie aux doutes, au découragement : difficile de garder confiance dans ces conditions. Le risque de rupture de soins est considérable.

Nous attendons par conséquent beaucoup de la recherche, sur les traitements en particulier. Il nous reste tant à comprendre : un continent inexploré reste à découvrir pour proposer des diagnostics plus fiables, mieux comprendre la trajectoire des patients et donc mieux les accompagner en évitant les ruptures de soins.

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