Psychoses auto-immunes : on est peut-être devant la pointe immergée de l’iceberg
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"Psychoses auto-immunes : on est peut-être devant la pointe immergée de l’iceberg"

Publié le 7 juin 2022

Interview avec Laurent Groc, neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS. 

Dans le livre et le film Brain on fire, on suit l’errance thérapeutique de la journaliste Susannah Cahalan. Elle souffre d’une encéphalite à autoanticorps anti-RNMDA, c’est-à-dire d’une inflammation aiguë du cerveau due à la production d’autoanticorps dirigé contre les récepteurs au glutamate survenant lors d’un premier épisode psychotique aigu. Vous avez contribué à décrire la notion de « psychoses auto-immunes ». Pouvez-vous nous expliquer les points communs entre encéphalite à autoanticorps et psychoses auto-immunes ? Pourriez-vous nous décrire les symptômes qui touchent les personnes affectées ?

De façon générale, le point commun est la présence d’autoanticorps dirigés contre un récepteur de la synapse. Les cellules du cerveau communiquent via des synapses : c’est grâce à leur plasticité qu’on apprend, qu’on mémorise, qu’on effectue beaucoup de tâches. La grande découverte, réalisée à partir de ces encéphalites, a été de montrer qu’un autoanticorps qui cible ces récepteurs est capable de mettre une pagaille terrible dans la synapse et l’organisation des récepteurs. Cela génère l’apparition d’un certain nombre de symptômes chez les patients et constitue ce que nous avons appelé la psychose auto-immune. Ce sont les symptômes classiques des patients psychotiques : hallucinations, délires, souvent de persécution, troubles cognitifs avec ce qu’on appelle une dissociation (la pensée s’embrouille, le discours n’a plus aucune cohérence). À cause de ces symptômes, les psychiatres ont pu se dire à propos de Susannah Cahalan : « Elle a vingt ans. Vu son âge et ses symptômes, elle a sans doute une schizophrénie ». Et ce constat erroné est vraisemblablement encore présent de nos jours. Facteur aggravant : ce type de patients ne répond pas au traitement classique à base de neuroleptiques. C’est même l’effet inverse qui se produit.

Pour résumer, en mettant en lumière le rôle des autoanticorps dirigés contre des récepteurs spécifiques de la synapse, nous sommes entrés dans un nouveau paradigme où l’on reconnaît désormais le rôle de l’auto-immunité dans certaines psychoses.

Dans certains cas, les troubles psychotiques peuvent donc résulter de désordres du système immunitaire, comme l’auto-immunité. Pouvez-vous nous expliquer les mécanismes à l’œuvre derrière cette notion ?

Ils sont assez simples d’un point de vue moléculaire. Ces autoanticorps sont dirigés contre des récepteurs qui sont au cœur de la synapse. La synapse est l’endroit où un neurone envoie des molécules qui vont se fixer à un récepteur spécifique sur un autre neurone. Quand ces molécules sont fixées sur le récepteur, elles passent une information. L’autoanticorps vient se fixer sur le récepteur, déstabilise ce dernier et l’empêche de rester stable. Résultat : une grande partie des récepteurs sort de la synapse, ce qui bouleverse la vie classique du système basé sur un renouvellement progressif au fil du temps. Les récepteurs sont toujours là, toujours activables si besoin, mais ils ne sont pas placés au bon endroit. Ils sont juste perdus.

Pourquoi certaines personnes développent-elles cette auto-immunité ? 

Je n’ai pas de réponse à vous donner. C’est encore à l’état de la recherche. Cela dit, il y a plusieurs suspects dont un qui ressort de façon importante, notamment chez les patients qui ont une encéphalite suite à une poussée d’herpès. Concrètement, quand vous avez une réaction à un virus comme l’herpès, votre système immunitaire va réagir contre certaines protéines du virus. Malheureusement, parmi ces dernières, certaines peuvent ressembler très fortement aux récepteurs de la synapse. Du coup, l’anticorps produit par votre système immunitaire pour vous défendre ne va pas se contenter d’attaquer une protéine du virus. Il va aussi être dirigé contre vos synapses. C’est du moins une hypothèse sur la table. Un phénomène similaire a, par ailleurs, été constaté par d’autres chercheurs avec la toxoplasmose.

Est-ce qu’un terrain génétique pourrait favoriser l’apparition d’une psychose auto-immune ?

C’est très probable : si vous avez une maladie auto-immune dans votre famille, vous avez deux à trois fois plus de chances de développer des troubles psychiatriques, et vice-versa. Après, on ne connaît pas encore précisément le mécanisme, mais c’est une piste d’étude extrêmement active à l’heure actuelle.

Vos recherches ont permis d’établir un lien causal entre la présence d’auto-anticorps dirigés contre des récepteurs cérébraux et les troubles psychotiques. Vous avez contribué à démontrer que cela touche près de 20 % des patients atteints de schizophrénies (près de 12 000 patients en France) ou de troubles bipolaires. Ce qui suggère la présence d’une forme auto-immune de la maladie. Quelles pistes pour mieux les traiter demain ?

On a un essai clinique en cours, qui a malheureusement pris un peu de retard avec le Covid, mais qu’on est en train de réactiver fortement. L’idée : rechercher la présence de ces autoanticorps chez les patients diagnostiqués avec une schizophrénie ou certains troubles bipolaires. Et proposer une immunothérapie à ceux qui auraient des autoanticorps. C’est le traitement que Susannah Cahalan a reçu, c’est-à-dire un traitement qui va réduire la réponse immunitaire et donc faire décroître de façon très significative la concentration des autoanticorps. Chez Susannah Cahalan, comme chez nos patients, tous les symptômes ont disparu en quelques mois voire en quelques semaines.  Avant cette découverte, un patient était voué à un an de coma puis la mort. Aujourd’hui, il est de retour à la maison quelques mois après le début du traitement !

De plus, la plupart des patients à qui l’on propose une immunothérapie ne font pas de rechute. On ne sait pas trop pourquoi mais une fois qu’on élimine ces autoanticorps, ils ne reviennent pas. 

On entend souvent cette phrase qui ne veut pas dire grand-chose : « On espère que d’ici 10-15 ans il y aura un traitement. » Là, le traitement existe déjà. C’est quelque chose qu’on pourrait mettre en place rapidement à condition de donner aux cliniciens les moyens d’établir qu’un patient a des autoanticorps dirigés contre ses récepteurs synaptiques.

En même temps, 3 % de la population générale est porteuse asymptomatique de ces autoanticorps, ce qui complique l’établissement du diagnostic. Quelles sont les pistes adossées aux nouvelles technologies qui pourraient améliorer le dépistage et le diagnostic des patients porteurs de psychoses auto-immunes ?

Il y a en effet des porteurs sains. L’idée, c’est donc de proposer aux cliniciens un test qui a un double objectif : établir la présence ou non de cet autoanticorps puis définir s’il est pathogénique ou non. Le clinicien a vraiment besoin de ces deux informations d’autant que des autoanticorps peuvent apparaître quand vous vieillissez ou en corrélation avec d’autres maladies sans provoquer le moindre trouble psychotique. Autrement dit, si l’on donne au clinicien les moyens d’établir une séropositivité à l’autoanticorps contre des cibles synaptiques ainsi que son caractère pathogénique, cela lui permettrait de proposer beaucoup plus rapidement une immunothérapie au patient qui en a besoin.

Par ailleurs, on essaie aussi de comprendre ce qui fait qu’un autoanticorps est sain ou pathogénique. C’est quelque chose qui va occuper nos recherches dans les années à venir. Notre hypothèse c’est que l’endroit de fixation du récepteur va définir s’il est pathogénique ou non. On a déjà montré que si ces autoanticorps se lient à une certaine partie du récepteur cela provoque la pagaille, alors que s’ils se lient au récepteur à un autre endroit, qui n’est pas impliqué dans des interactions avec d’autres molécules, le récepteur vit sa vie à peu près normalement.

Un mot pour finir sur le projet de recherche « Psychoses auto-immunes » que vous portez avec la Fondation FondaMental ? 

Il s’agit avant tout de comprendre les mécanismes qui sont à la base de la pathogénicité de ces autoanticorps. C’est important pour les patients qui ont une psychose auto-immune, mais aussi pour les patients qui souffrent de schizophrénies du fait d’une mutation génétique ou d’autres altérations du même récepteur. D’un point de vue moléculaire, il faut qu’on continue à creuser et rechercher la présence d’autoanticorps qu’on ne connaît pas encore. L’autoanticorps dirigé contre le récepteur RNMDA, qui a été le mieux caractérisé à ce jour, n’est sans doute pas le seul. On est peut-être en train de regarder la pointe immergée de l’iceberg : on pourrait avoir plusieurs autoanticorps qui ciblent ces protéines de la synapse et mettent la pagaille. C’est important parce que parfois vous avez un patient qui a tout le tableau clinique de cette fameuse psychose auto-immune mais son test pour l’autoanticorps anti-RMNDA est négatif… Sauf qu’il produit vraisemblablement des autoanticorps contre d’autres cibles. Notre objectif est donc de détecter cela afin de donner des outils aux cliniciens qui pourront alors proposer de meilleurs traitements. Le lien entre chercheurs en biologie moléculaire et cliniciens est essentiel pour le futur, et le travail de la Fondation FondaMental est remarquable à cet égard notamment. 

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