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Stéphane Cognon : « Il faut que nous cessions collectivement d’avoir peur »

Publié le 18 mars 2021

Quel souvenir gardez-vous de votre premier contact avec la psychiatrie ?

Les choses ont commencé à se dégrader en terminale. Je me cherchais, je n’allais pas bien. J’avais des angoisses et de gros problèmes de sommeil. J’ai commencé à avoir des hallucinations auditives, à être en proie à des délires mystiques.

Progressivement, je me suis replié sur moi jusqu’à finir reclus. Mes parents voyaient bien que ça n’allait pas fort mais ils ne savaient pas comment y faire face. C’est ma soeur, alors interne en médecine, qui m’a conduit dans le service de psychiatrie du Kremlin-Bicêtre.

Au deuxième rendez-vous, les médecins ont proposé une hospitalisation. J’avais 20 ans. C’était presque un soulagement quand j’y repense : ça y est, on allait enfin s’occuper de moi, j’allais pouvoir dormir, me reposer. J’allais pouvoir souffler.

Avez-vous compris de quoi vous souffriez ?

Pas du tout. On m’a juste parlé de bouffée délirante aigüe. J’ai reçu un traitement qui, par bonheur, a bien marché et j’ai repris le cours de ma vie.

Mais vers 25 ans, des effets indésirables m’ont conduit à arrêter mon médicament. Les symptômes ont très vite réapparu et je suis retourné voir ma psychiatre sans hésiter. Elle a adapté mon traitement, que je n’ai plus cessé depuis. Je n’ai plus jamais été hospitalisé non plus. C’est seulement à 30 ans que j’ai appris le diagnostic de schizophrénie.

Comment vous êtes-vous construit après cette hospitalisation ?

Au début, j’avais envie d’en parler à tout le monde. Je me suis rendu compte que les gens ne savaient pas toujours comment réagir, que cela créait parfois des malaises. Alors, progressivement, j’ai fini par me taire.

Je n’en ai quasiment jamais parlé avec mes parents par exemple. On pourrait presque parler de déni de la maladie en ce qui concerne mon père. Aujourd’hui, avec le recul, je pense que cela m’a servi : je n’ai jamais été considéré comme quelqu’un de malade.

Le poids de la stigmatisation est étouffant.

Qu’est-ce qui vous a amené à sortir du silence et à écrire votre livre ?

J’ai toujours aimé écrire et c’était à un moment de ma vie où j’avais du temps. L’idée du témoignage a fait son chemin naturellement. Les raisons en sont sans doute multiples.

Quand j’ai rencontré mon épouse, il me paraissait inconcevable de lui cacher cette partie de moi que constitue la maladie. Elle m’a posé des questions claires, elle voulait comprendre. Quelques années plus tard, nous en avons parlé également à nos enfants.

Avec le temps, l’envie d’en découdre, en dehors du cercle familial, avec les idées reçues sur la schizophrénie est devenue plus forte. Le poids de la stigmatisation est étouffant.

« Je reviens d’un long voyage » a marqué un tournant dans votre existence…

J’ai été surpris et touché des réactions que le livre a suscité.Les gens se sont emparés de mon récit. J’ai reçu des encouragements de toute part et fait de nombreuses rencontres, notamment avec des acteurs associatifs, dont l’Unafam et le Collectif Schizophrénies. L’envie de poursuivre l’aventure du livre s’est imposée…

C’est comme ça qu’après près de 20 ans dans le secteur des travaux publics, j’ai décidé de me lancer dans la pair-aidance. C’est le début de ma troisième vie.

Ce qui m’anime, c’est de promouvoir le rétablissement et de lutter contre la stigmatisation par tous les moyens possibles.

Quels sont vos projets aujourd’hui ?

Après une formation dédiée, je travaille depuis un an comme pair-aidant au GHU Sainte-Anne au sein duquel je participe à l’écriture d’un programme d’éducation thérapeutique, j’anime des ateliers dans un centre de jour, je travaille sur l’annonce du diagnostic… Je débute également mon activité en libéral. C’est pour moi un aboutissement. Mes enfants sont fiers de moi : ils savent que leur papa fait un métier innovant, qui aide les gens.

Quels sont les combats qui vous tiennent le plus à coeur ?

Ce qui m’anime, c’est de promouvoir le rétablissement et de lutter contre la stigmatisation par tous les moyens possibles. Je trouve que les choses commencent à bouger. La parole se libère. Je suis tombé par hasard sur la radio Le Mouv, qui proposait une émission sur la santé mentale. La parole des jeunes y était très libre. Je trouve cela rassurant. Il faut que nous cessions collectivement d’avoir peur.

La recherche est essentielle pour se repérer, nous guider, éviter les impasses.

La recherche en psychiatrie représente-t-elle pour vous un espoir ?

La recherche pour moi, c’est comme explorer un continent inconnu composé de vastes territoires… Elle est essentielle pour se repérer, nous guider, éviter les impasses ou les détours inutiles.

Trois domaines me tiennent particulièrement à coeur. Le premier porte sur la pair-aidance : il faut continuer à la questionner, à l’évaluer pour faire évoluer les pratiques.

Le second porte sur les traitements, leurs effets indésirables et leurs effets à long terme : c’est un sujet d’importance pour de nombreuses personnes malades.

Enfin, le dernier porte sur le diagnostic précoce : l’errance diagnostique et thérapeutique fait trop de dégâts, nous avons besoin d’affûter nos outils pour aider au mieux les jeunes au début de la maladie.

__________________  »Je reviens d’un long voyage.Candide au pays des schizophrènes», de Stéphane Cognon, éditions Frison Roche - www.editions-frison-roche.com

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