
Faire progresser la psychiatrie de précision : un consortium franco-allemand pour reproduire un modèle de recherche efficace
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Peter Falkai, Professeur de psychiatrie, directeur du Département de psychiatrie de l’Université de Munich et porte-parole du Centre allemand pour la santé mentale (DZPG)
Pourriez-vous expliquer comment fonctionnent les centres d’excellence en Allemagne, en particulier leur répartition géographique et leur modèle opérationnel ?
Les centres d’excellence allemands ont été sélectionnés à l’issue d’un processus national en plusieurs étapes. Environ 20 réseaux universitaires hospitaliers ont d’abord présenté leur candidature. Parmi eux, 14 ont été présélectionnés, et 6 ont finalement été retenus après des entretiens soutenus au niveau européen. Chaque centre représente un réseau destiné à couvrir une large part de la population. Par exemple, le centre de Munich dessert à lui seul une zone d’environ 6 millions de personnes.
Ensemble, ces six centres couvrent, à travers des études prospectives, environ la moitié de la population allemande. Il convient toutefois de noter que les régions du nord sont moins représentées dans ce réseau.
Le financement alloué aux centres couvre non seulement les infrastructures pérennes, mais aussi des projets spécifiques, dans le cadre d’un plan de soutien financier sur 7 à 8 ans. Cette stabilité permet un suivi régulier et l’amélioration de la santé mentale en Allemagne.
Notre modèle intègre des réseaux de médecins généralistes, dans lesquels des personnes atteintes de troubles psychiatriques peuvent bénéficier de courtes interventions allant jusqu’à quatre séances. Un autre exemple concerne l’identification de personnes ayant subi des abus dans l’enfance, afin de leur proposer un traitement ciblé.
L’objectif des centres est de mesurer l’état de santé mentale en Allemagne, l’améliorer et agir en prévention, en particulier en prévention secondaire.
Bien que les centres ne soient pas spécialisés par pathologie, contrairement aux Centres Experts de la Fondation FondaMental, ils couvrent un large spectre de troubles psychiatriques. Nos domaines prioritaires sont les troubles majeurs tels que la dépression, le trouble bipolaire, la schizophrénie, mais nous prenons aussi en charge d’autres maladies telles que les troubles de la personnalité. La psychiatrie du vieillissement et les démences ne relèvent pas de notre champ d’action et font l’objet d’un centre distinct.
Quels sont les principaux défis et opportunités liés à la reproduction du modèle français des Centres Experts en Allemagne ?
C’est une grande opportunité de fédérer les forces à l’échelle internationale, comme nous le faisons actuellement entre l’Allemagne et la France, pour répliquer les résultats, élargir les cohortes et ainsi accroître la fiabilité et la lisibilité des données, condition indispensable pour développer la psychiatrie de précision, approche spécialisée et centrée sur le patient, qui adapte diagnostic et traitement à des sous-groupes homogènes d’un point de vue clinique, biologique et comportemental.
Des cohortes plus larges et mieux caractérisées renforceraient considérablement la recherche. Aujourd’hui, les données de cohortes restent souvent hétérogènes.
Grâce à des outils comme le machine learning, nous pourrions recruter de nouveaux patients et faire correspondre les cohortes françaises et allemandes, en fonction de critères cliniques, d’imagerie, génétiques et biologiques. Cela permettrait de franchir une étape supplémentaire vers une psychiatrie de précision.
Un défi clé reste l’harmonisation des cohortes existantes et futures, qui doivent être suffisamment larges et uniformes pour permettre l’identification de schémas pertinents représentant la diversité des troubles mentaux.
Des initiatives comme le Cohort Club lancé par Marion Leboyer, [dans le cadre du programme PEPR Propsy (France 2030), qui vise à établir une cartographie mondiale des cohortes longitudinales en psychiatrie et à rendre accessibles leurs métadonnées], sont essentielles en ce sens.
Quel est l’avenir de la recherche neurobiologique en psychiatrie, et quelles avancées sont nécessaires pour faire progresser le domaine ?
Une priorité majeure est de mieux comprendre les mécanismes biologiques sous-jacents des maladies mentales, à l’image de ce qu’a accompli l’oncologie en identifiant les récepteurs hormonaux pour guider les traitements. Nous avons besoin de percées équivalentes pour définir des phénotypes et mécanismes propres aux troubles psychiatriques.
Une fois ces mécanismes compris, il est essentiel de développer des biomarqueurs corrélés. Par exemple, dans la démence, la présence de dépôts spécifiques dans le cerveau (amyloïde, etc.) sert de biomarqueur. De tels marqueurs permettront de distinguer des sous-groupes au sein d’un même trouble et de proposer des traitements ciblés et fondés sur des mécanismes précis.
Les réseaux collaboratifs sont cruciaux car ils permettent de mutualiser les cohortes, les consentements et la gestion des données. Mais ils nécessitent des investissements publics durables.
Quel rôle jouent les grandes cohortes multilayers (comportement, cerveau, génétique, facteurs environnementaux) dans le développement de la psychiatrie de précision ?
Elles sont essentielles. On peut tester des hypothèses sur de petits échantillons, mais pour pouvoir généraliser les résultats, il faut disposer de cohortes structurées, vastes et multidimensionnelles, combinant données comportementales, d’imagerie cérébrale, génétiques et non génétiques. C’est la seule voie pour identifier des sous-groupes définis par les mêmes mécanismes et améliorer la précision des traitements.
Comment la coopération internationale, notamment entre la Fondation FondaMental et les centres allemands, peut-elle optimiser l’usage des outils, des données et des technologies comme le machine learning ?
La première étape consiste à s’accorder sur un ensemble d’outils de mesure communs. Ensuite, il faut fusionner les bases de données des différents centres, en veillant à leur anonymisation et standardisation.
Idéalement, ces données devraient être rendues anonymes (sans identification géographique), puis ouvertes à la recherche afin de favoriser la collaboration scientifique internationale, notamment pour le développement de modèles prédictifs à partir des études de cohortes.
Quelles étapes sont nécessaires pour structurer les efforts de recherche, définir des cadres partagés et identifier les mécanismes clés en soutien à la psychiatrie de précision ?
Trois étapes majeures sont nécessaires pour structurer les effort de recherche :
Harmoniser les méthodologies et standards de collecte de données entre les cohortes existantes.
Constituer des cohortes multilayers de grande ampleur.
Exploiter ces données pour établir des modèles prédictifs, identifier des sous-groupes homogènes, découvrir des biomarqueurs pertinents et tester des traitements ciblés.