« La schizophrénie est plus fréquente chez les patients avec un psoriasis, et moins fréquente chez les patients avec un rhumatisme psoriasique, que dans la population générale, d’après une étude utilisant les données médico-administratives françaises. »
Emilie Brenaut, MCU-PH en Dermatologie au CHU de Brest et au Laboratoire Interactions Epithéliums Neurones.
Les troubles psychotiques, dont le plus fréquent est la schizophrénie, débutent généralement chez les jeunes adultes. Ils sont associés à des facteurs de risque génétiques et environnementaux comme la consommation de cannabis, les traumatismes psychologiques dans l’enfance ou les épisodes d’infection sévères.
Depuis plusieurs années, les chercheurs pensent que l’inflammation systémique, c’est-à-dire l’inflammation générée par diverses maladies auto-immunes ou inflammatoires, pourrait jouer un rôle dans le déclenchement de la schizophrénie. Par exemple, des études de cohorte (sur de grands groupes de patients) ont montré des associations entre des hépatites auto-immunes ou le syndrome de Sjogren et la schizophrénie. A l’échelle biologique, des taux plus élevés de protéines de l’inflammation ont aussi été retrouvés chez les patients schizophrènes par rapport à des individus sans troubles psychiatriques. L’objectif de notre étude était d’étudier la fréquence de la schizophrénie chez des patients avec un psoriasis ou un rhumatisme psoriasique. Le psoriasis est une maladie cutanée chronique qui touche environ 3% de la population et se manifeste par des plaques rouges squameuses plus ou moins étendues sur le corps. Le rhumatisme psoriasique se manifeste par des douleurs, parfois des gonflements, de certaines articulations.
En utilisant le Système National des Données de Santé, qui regroupe les données de 99% de la population française (informations sur les hospitalisations, les médicaments, les affections longue durée), nous avons identifié les patients suivis pour un psoriasis ou un rhumatisme psoriasique entre 2012 et 2021. Les patients avec des troubles psychotiques ont été identifiés grâce à l’ALD (affection de longue durée) ou l’hospitalisation pour psychose, et la délivrance de neuroleptiques, selon une méthode utilisée dans une étude faite dans la population française en 2017.
Au total, 449 392 sujets avec un psoriasis (âge moyen 54,6 ans, 51,6% d’hommes) et 47 825 sujets avec un rhumatisme psoriasique (âge moyen 54,8 ans, 43,8% d’hommes) ont été inclus.
Le taux de psychose était significativement plus élevé chez les patients avec un psoriasis (1,11%), et significativement plus bas chez les patients avec un rhumatisme psoriasique (0,61%) par rapport à la population générale (0,72%). L’association entre psoriasis et schizophrénie pourrait s’expliquer par des facteurs génétiques avec des gènes de susceptibilité communs, ainsi que des facteurs immunologiques proches. Il n’est pas exclu que la stigmatisation, bien établie dans le psoriasis, puisse également jouer un rôle.
Les sujets souffrant de troubles psychotiques avaient significativement plus d’addictions par rapport à la population générale (pour le psoriasis : alcool 7,3% vs 1,5%, tabac 8,9% vs 2,6%, cannabis 1,7% vs 0,1%) et plus de comorbidités physiques (pour le psoriasis : obésité 14,3% vs 7,0%, diabète 17,8% vs 12,2%, maladies respiratoires chroniques 16,8% vs 9,4% et maladies hépatiques 2,6% vs 1,3%). Les décès étaient significativement plus fréquents et plus précoces dans cette population avec troubles psychotiques, avec un âge moyen au décès de 10 ans inférieur par rapport à la population sans trouble psychotique. Concernant la prise en charge de leur psoriasis, les sujets avec troubles psychotiques recevaient plus de traitements locaux (crèmes), mais moins de traitements par voie générale (UV, médicaments par voie générale, injections), ce qui semble signifier qu’ils sont sous-traités pour leur psoriasis.
Les résultats de notre étude confirment que les troubles psychotiques sont plus fréquents chez les patients avec un psoriasis, les médecins doivent donc être sensibilisés à cette association. Au contraire, la prévalence des troubles psychotiques chez les patients avec un rhumatisme psoriasique est diminuée par rapport à la population générale. Les deux maladies inflammatoires impliquent des voies génétiques et inflammatoires différentes, qui seront à mieux explorer dans le futur pour permettre une prise en charge plus précise et plus efficace des patients.
Travail effectué lors d’un post doctorat dans le laboratoire EpiDermE, Université Paris Est Créteil, Créteil