« Plus vous améliorez votre alimentation, plus vous en retirez des avantages pour votre santé mentale »
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« Plus vous améliorez votre alimentation, plus vous en retirez des avantages pour votre santé mentale »

Publié le 4 juillet 2022

Interview avec Felice Jacka, Professeur de psychiatrie nutritionnelle (Université Deakin, Australie)

Si j’ai bien compris, votre engagement dans la psychiatrie est lié à votre expérience personnelle de la dépression et de l’anxiété. Pouvez-vous m’en dire plus ?

Comme beaucoup de gens, j’ai probablement développé un trouble anxieux pendant mon enfance, puis une dépression assez sérieuse à la puberté. Bien sûr, cela arrive à beaucoup de gens. Ce n’est pas pour rien qu’on dit de la dépression et de l’anxiété qu’ils sont les troubles mentaux les plus courants. Après avoir obtenu un premier diplôme dans le domaine des beaux-arts, à la trentaine, je suis retournée à l’université pour étudier la psychologie et je me suis de plus en plus intéressée, non pas à la psychologie en tant que telle, mais davantage au cerveau, à la recherche et aux statistiques afin de mieux cerner, d’un point de vue médical, les facteurs de risque et les approches thérapeutiques que nous pourrions utiliser, moi et d’autres, pour prévenir et traiter les problèmes de santé mentale.

Vous êtes-vous rapidement intéressée à la nutrition ?

Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la recherche en psychiatrie, j’ai été un peu déconcertée par le fait que très peu de travaux étudiaient la façon dont notre alimentation quotidienne pouvait affecter notre santé mentale et cérébrale. À cette époque, au début des années 2000, il était pourtant de mieux en mieux admis que le système immunitaire jouait un rôle important dans la santé mentale et cérébrale. Or, on sait que l’alimentation a un impact considérable sur le système immunitaire. Au même moment, les études animales et les neurosciences nous ont montré que l’on pouvait influencer la plasticité du cerveau, en particulier l’hippocampe (une zone très importante pour la mémoire et la santé mentale), en manipulant des composants alimentaires. Il y avait donc deux grands faisceaux d’indices qui m’ont fait penser qu’il s’agissait d’un sujet sur lequel il était potentiellement très important d’enquêter. Pour mon doctorat, j’ai donc voulu prendre les méthodes de la recherche nutritionnelle, en plein développement, qui examinaient l’alimentation sous toutes ses coutures et les appliquer à la psychiatrie.

J’ai lu que quand vous avez commencé à pratiquer la psychiatrie nutritionnelle, l’ambiance était plutôt au scepticisme. Aujourd’hui, il y a énormément d’articles sur la façon dont l’alimentation peut faire du bien à notre santé mentale. Comment l’expliquez-vous ?

C’est vrai qu’il y a eu beaucoup de scepticisme. Je pense que c’est en partie dû au fait que la psychiatrie s’est traditionnellement intéressée à ce qui se passait au-dessus du cou et non au reste du corps. Les six ou sept premières années ont été difficiles, mais nous avons réussi à produire des preuves à partir d’études observationnelles. Il ne s’agit pas d’une expérience, mais d’une cartographie de l’alimentation des gens, de leur santé mentale et, bien sûr, de tous les autres facteurs importants comme les revenus, l’éducation, le poids, les autres habitudes de vie, afin de s’assurer que la relation observée entre la qualité de l’alimentation et la santé mentale des gens n’est pas liée à ces autres facteurs. Et à chaque fois, nous avons constaté que non, cela ne s’expliquait pas par ces facteurs. La base de données que nous avons développée nous permet aujourd’hui de disposer d’un grand nombre d’études montrant, par exemple, que l’alimentation de la mère pendant la grossesse influe sur la santé mentale et émotionnelle de l’enfant, et ce jusqu’à l’âge adulte. Ou encore que l’alimentation a un lien avec la dépression notamment chez les sujets plus âgés. Nous observons les mêmes résultats dans des études menées dans le monde entier, dans des pays comme la Norvège, le Japon ou l’Inde.

Dans votre célèbre étude SMILES, vous avez découvert qu’une alimentation plus saine entraîne une réduction de 30 % du risque de dépression. Pouvez-vous nous en dire plus ?

En effet, SMILES a été le premier essai contrôlé randomisé (*Une technique qui consiste à sélectionner de façon aléatoire, à partir d’une population admissible à la participation de l’étude, le groupe expérimental qui bénéficiera d’une intervention et le groupe contrôle qui servira de point de comparaison afin d’évaluer l’effet de cette intervention, NDLR) à prouver cela. Dans cette étude, nous avons désigné de manière aléatoire des personnes souffrant de dépressions cliniques modérées à sévères - donc très mal en point - pour recevoir des conseils alimentaires ou un soutien social pendant une période de trois mois. Résultat : nous avons constaté que 30 % des personnes ayant bénéficié de conseils alimentaires ont eu une rémission clinique complète de leurs symptômes dépressifs, contre un petit 8 % pour le groupe de soutien social.

Plusieurs études ont montré la même chose depuis. Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais les gens comprennent intuitivement que ce qu’ils mangent a un impact sur comment ils se sentent.

J’en déduis que vous recommanderiez à une personne souffrant de dépression ou d’un autre trouble mental de consulter un nutritionniste en plus d’un thérapeute. Encore faut-il pouvoir couvrir toutes ces dépenses, n’est-ce pas ?

Oui, mais nous avons effectué une évaluation économique qui a montré que, même en tenant compte du coût du diététicien et de la nourriture, on pouvait compter environ 2 500 dollars australiens d’économie par participant appartenant au groupe de soutien diététique : ils ont passé moins de temps à l’hôpital et ont vu leurs praticiens de santé moins souvent. Nous avons également procédé à une analyse détaillée du coût du régime alimentaire que nous préconisions en le comparant à celui que les participants suivaient avant de prendre part à l’essai, avec beaucoup plus de malbouffe. Et notre régime s’est révélé un peu moins cher. Nous ne préconisons pas des aliments bio, du poisson frais et autres aliments sophistiqués. C’est très simple et c’est d’ailleurs ce que je mange : légumes, poisson à la vapeur, légumineuses sèches et en conserve. Que des produits abordables et faciles à préparer. 

Ce que nous avons vu, c’est que, contrairement à la croyance dominante en psychiatrie - et cela a été démontré dans plusieurs études -, les personnes souffrant de troubles mentaux peuvent non seulement améliorer la qualité de leur alimentation mais sont très désireuses de le faire. Toutes les circonstances qui peuvent affecter la santé mentale d’une personne, comme les traumatismes de l’enfance, le stress, la pauvreté…sont souvent hors de notre contrôle. En revanche, nous pouvons décider de ce que nous mangeons. Les gens ont apprécié de pouvoir reprendre le contrôle. D’autant qu’ils en ressentent rapidement les effets bénéfiques, dès trois semaines d’après une étude plus récente. 

SMILES et d’autres études ont également montré que plus les gens améliorent leur régime alimentaire, plus ils en retirent des avantages pour leur santé mentale. Cela les incite donc, bien sûr, à poursuivre dans cette voie. Dernière chose mais ô combien importante : ce ne sont pas des régimes conçus pour perdre du poids. Dans l’essai SMILES, l’indice de masse corporelle moyen des participants était d’environ 30, soit un léger surpoids. Il n’a pas changé. Il s’agit simplement de bien se nourrir, de bien nourrir son microbiote intestinal et d’en ressentir les bienfaits sur sa santé mentale et cérébrale avec par exemple une pensée plus claire.

Quel régime alimentaire serait susceptible d’améliorer notre santé mentale ? Et quel type d’aliments faudrait-il absolument éviter ?

Nous en savons probablement plus sur l’univers entier que sur le corps humain et le cerveau. Le microbiote intestinal, que nous étudions de plus en plus et qui est la voie royale pour comprendre comment l’alimentation influence la santé mentale, est incroyablement complexe. Par contraste, nos conseils alimentaires sont très simples.

Nous recommandons de consommer davantage d’aliments d’origine végétale et cela ne concerne pas seulement les fruits et légumes. Il y a aussi les céréales complètes comme l’avoine, l’orge, le seigle, le riz brun, le riz rouge, le riz noir et le quinoa… Les légumineuses et les haricots sont très importants : les lentilles, les pois chiches, les haricots blancs, les haricots verts et toutes sortes de haricots… Ils constituent une source importante de fibres, dont notre microbiote intestinal a besoin pour faire son travail et libérer des milliers de molécules qui sont bonnes pour nous. En plus de consommer davantage d’aliments d’origine végétale il faut veiller à augmenter leur diversité et ne pas se contenter de manger la même chose tous les jours. Il existe une grande diversité d’aliments végétaux. Ils ont tous des profils différents, des milliers de composants différents qui sont hautement bioactifs, et qui interagissent ensemble de manière très complexe. Bien que les résultats des études demandent encore confirmation, nous pensons aussi que les aliments fermentés sont probablement une très bonne idée : le yaourt naturel, le kéfir, le kombucha, la choucroute, les légumes fermentés de toutes sortes et certains produits japonais comme le miso. Cela fait des millénaires qu’ils font partie de l’alimentation traditionnelle et leurs bactéries produisent les molécules dont nous avons besoin lors de la fermentation. 

Vous n’avez pas besoin d’être végétalien ou végétarien. Il suffit d’éviter les aliments transformés dont la viande transformée, le bacon et le jambon. Dans un passé pas si lointain, les gens se nourrissaient de manière très simple : des haricots, du pain non raffiné, des légumes qui pouvaient être cultivés dans le jardin, des œufs car ils avaient des poules… Une alimentation vraiment simple et abordable qui n’a pas besoin d’être sophistiquée, bio ou exotique.

La moitié des troubles mentaux se manifestant avant l’âge de 14 ans, il est important que les jeunes soient sensibilisés à l’importance d’une alimentation équilibrée. Quel message passeriez-vous aux adolescents accros à la malbouffe ?

En Australie, les adolescents consomment près de sept portions d’aliments non-essentiels ou «discrétionnaires» (boissons sucrées, alcool, confiseries et viandes transformées) par jour. Idem aux États-Unis et au Royaume-Uni. Il faut qu’ils sachent que cela a un impact considérable sur le cerveau et le corps, mais aussi sur les autres aliments ingérés. Nous savons aussi qu’en Australie 99% des moins de 18 ans ne consomment pas assez de légumes, malgré tous les bons aliments que nous avons à disposition dans notre pays. Ce n’est donc pas seulement un problème de moyens ou d’éducation : cela concerne tout le monde, d’autant que du fait de notre système alimentaire industrialisé, cette mauvaise alimentation est devenue la norme.

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